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ANXIETE de Scott Stossel, par Stéphanie Mesnier-Angeli, journaliste et écrivain

 

   Je l'avoue, je suis une anxieuse. Les migraines, le trac, les nausées, je connais. Dans une certaine mesure, le sport, la méditation et certains efforts personnels m'ont permis de dépasser mes angoisses. Mais mon anxiété n'est rien à côté de celle qui accable Scott Stossel, brillant éditorialiste de la revue américaine The Atlantic, qui témoigne dans un livre aussi passionnant qu'émouvant. Il raconte son combat contre ses crises de panique, ses séances chez le psy, les médicaments qu'il a presque tous testés, et, pour comprendre son "mal", convoque la philosophie, l'histoire, les religions, la science...

 

D'où vient l'angoisse ? Stossel cite le théologien, Paul Tillich, dans un texte de 1944, qui écrit que l'angoisse (Angst) constitue la réaction naturelle de l'homme devant la mort, la conscience, la culpabilité, le désespoir, la vie quotidienne, etc. « Pour Tillich, la question cruciale de l'existence est celle-ci : sommes-nous confiées à la garde d'un dieu, qui veille sur nous avec bonté, ou la vie se résume-t-elle à un cheminement laborieux, ingrat, de l'être humain vers la mort, dans un univers froid, mécanique et indifférent ? Peut-être le fait de trouver la sérénité consiste-t-il à se réconcilier avec cette question. À moins qu'il ne s'agisse, de façon plus triviale, d'apprendre à réguler le niveau de sérotonine dans nos synapses ».

 

Au cœur de toutes les formes aiguës d'anxiété, on trouve une crise qui touche aux fondamentaux ontologiques de la vie humaine. Nous sommes destinés à vieillir, à mourir, à perdre les êtres que nous aimons, à subir des échecs qui nous ébranleront. Nos phobies sont des déplacements de nos angoisses existentielles profondes, qui se cristallisent sur des objets extérieurs : rat, serpent, fromage. Ou miel. Scott Sossel rapporte que l'acteur Richard Burton ne pouvait supporter de se trouver dans une pièce où il y avait du miel, même placé au fond d'un pot, et même si ce pot était rangé au fond d'un placard.

Pour certains, l'anxiété remonte au « traumatisme de la naissance ». Sans surprise, les Juifs sont plus anxieux que les autres. En plus d'évoquer les différences culturelles de l'angoisse, Stossel se demande dans un chapitre passionnant si elle favorise la créativité. Depuis Aristote, la réponse est oui, à condition de ne pas se laisser submerger.

 

Munch ne peignit pas Le Cri par hasard, et Marcel Proust parvint à transmuer sa sensibilité névrotique en art. Franz Kafka souffrait de colopathie fonctionnelle. Freud avait des maux d'estomac et des problèmes de diarrhée. Une grande partie de la correspondance entre Henry James et son frère William est consacrée à l'échange de remèdes contre les troubles digestifs dont ces deux névrosés souffraient. Le poète W.H. Auden remporta le prix Pulitzer avec son recueil The Age of Anxiety. Un autre poète, William Cowper, paniqué à l'idée de s'exprimer devant la chambre des Lords, tenta de se suicider par pendaison. Heureusement, il se rata.

 

Lorsque Newton inventa le calcul infinitésimal, personne n'en sut rien durant 10 ans, parce qu'il était trop angoissé et déprimé pour en parler, et que son agoraphobie l'empêchait de sortir. En 1889, un jeune avocat indien, Gandhi, fut victime d'un accès de paralysie lors de son premier procès. Il fallut l'évacuer... Démosthène et Cicéron connaissaient des crises de panique. Tout comme Moïse, qui, selon diverses analyses concordantes de l'Ancien Testament, éprouvait des difficultés à parler en public, par appréhension ou en raison d'un bégaiement. Vladimir Horowitz, pianiste virtuose, éprouva à un moment de sa carrière des angoisses si aiguës qu'il renonça à jouer en public pendant 15 ans. Il n'accepta de reparaître sur scène qu'à la condition que son médecin assiste à ses concerts, assis avec sa trousse au premier rang. Barbra Streisand, elle aussi, connut des crises de panique et refusa de se produire en public durant 27 ans. La liste est encore longue, mais c'est le cas de Darwin, agoraphobe et victime de vomissements périodiques, qui m'a le plus impressionnée. Darwin pouvait vomir plusieurs fois par jour, des semaines d'affilée, voire, dans quelques cas, des années, et rester cloué au lit durant des semaines. Toute excitation, toute mondanité, provoquait chez lui un dérèglement physique intense. Il subissait de violentes crises de tremblements et vivait un enfer, dont son journal témoigne.

 

En installant l'anxiété dans le royaume du diagnostic médical et en en faisant un trouble caractérisé, on créa une aubaine pour les labos pharmaceutiques. À la fin des années 1970 débarquèrent les benzodiazépines, dont les ventes furent exponentielles. Certains médecins s'inquiétèrent de la détérioration des performances cognitives de leurs patients, mais en vain. Pui, le Prozac cassa la baraque (un jackpot pour son fabricant, Eli Lily). Il fut tant prescrit qu'on a trouvé des traces de Prozac chez les grenouilles américaines (responsables de retards et d'anomalies dans leur développement), ainsi que dans le cerveau et le foie de poissons, au Texas ! Le comble est que cette consommation éléphantesque d'anxiolytiques et d'antidépresseurs n'a pas entraîné une diminution de l'anxiété ou de la dépression. Scott Stossel l'affirme, études à l'appui. Le nombre de patients anxieux ou déprimés "traités" ne cesse au contraire d'augmenter...

 

Vivre avec ses angoisses ? Les affronter ? Pour Kierkegaard, il ne convient pas de traiter l'anxiété à coup de médocs qui ne font qu'anesthésier notre âme. L'angoisse est au contraire l'outil le plus propice pour une découverte de soi et une réalisation personnelle. « Plongez au cœur du danger, c'est là que vous trouverez la sécurité », dit un proverbe chinois.

Pas toujours facile... Pourquoi ce qui est une piqure de moustique pour l'un prend pour l'autre les allures d'un tourment insurmontable ? Mystère... Le neurasthénique, le mélancolique, le déprimé, le dépressif, l'angoissé, le claustrophobe, le monophobe, le mysophobe ou le panophobe trouveront dans le livre de Scott Stossel le réconfort de ne pas être seuls. Mais pas de recette miracle.

Dans cette courte vidéo, Fabrice Midal présente le livre de Stossel : 

 

ANXIÉTÉ - Les tribulations d'un angoissé chronique en quête de paix intérieure, par Scott Stossel, traduction Daniel Roche (Belfond,

Collection : L'Esprit d'Ouverture, 2016).


 

 

Stéphanie Mesnier-Angeli est journaliste, écrivain et romancière.

Auteur entre autres de Barnabé - Le Roman d'un chat  (Librinova, 2021), Tueuses mais pas trop (Fayard, 2015), Les Micros du Canard - avec Claude Angeli - (Editions Les Arènes, 2014).

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