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TOUJOURS CHARLIE, MAIS ENCORE, par Olivier Ryckewaert

CHARB (Stéphane Charbonnier), avait 47 ans. Il avait succédé à Philippe Val à la direction de Charlie en mai 2009. Il animait notamment la rubrique "Charb n'aime pas les gens". Il dessinait régulièrement pour Fluide Glacial dans lequel il avait sa chronique : "La fatwa de l'Ayatollah Charb", ainsi que L'Echo des Savanes, Télérama, L'Humanité

 

   10 ans après le basculement de notre société qu’a représenté l’horreur de Charlie Hebdo et de l’hypercasher, on doit aller plus loin.

En commençant par rappeler cette évidence : pour un républicain, la France est une nation politique, pas une nation culturelle.

Elle se définit par le contrat social auquel on adhère : droits et devoirs, acceptation du débat démocratique, etc. Contrairement à MacDo, on y vient pas comme on est, mais peu importe qui on est au départ dès lors qu’on adhère au contrat. Cette vision fonde l'essentiel des valeurs de la République, dont l'anti-racisme.

 

La nation culturelle, c’est celle qui nous parle des clochers et des terroirs, de la France fille ainée de l’Eglise, des particularités locales, bref des choses qui ont leur importance et qui peuvent se rappeler à la nation politique, mais dès lors qu’elles acceptent ce contrat. Une forme moderne et importée, mais qui revient au même, c’est la nation multi-culturaliste, où les communautés régentent in fine la société.

 

Beaucoup de forces jouent contre le modèle républicain à la française, et notamment la mondialisation des idées, puisqu’il est assez unique dans le monde. Elles (les forces) utilisent depuis longtemps la fenêtre d’Overton pour faire accepter des idées impensables au départ. Cette approche garde les formes du débat démocratique, à coup de ballon d’essai, de travaux scientifiques plus ou moins moisis qui mettent à l’agenda des causes certainement entendables prises isolément, mais dont on se garde de dresser le tableau des conséquences. Quand on décrit uniquement les risques en occultant les bénéfices et les dangers du changement, on arrive à gagner à sa cause. Les écolos décroissant-anticapitalistes sont les spécialistes de cette pratique.

 

Le 7 janvier puis le 13 novembre 2015 ont créé une nouvelle façon d’élargir la fenêtre d’Overton : par l’horreur et la trouille.

La France, nation occidentale où la guerre n’a pas frappé depuis 70 ans à l’époque de Charlie et où les relations sont apaisées, se prend l’effroi en plein tête, descend dans la rue par réflexe, mais l’effet de traîne est là : pour ne pas revoir ça, des corps criblés à l’arme lourde, ça vaut peut être le coup de céder un peu sur des trucs pas importants, qu’est ce qu’on en a à foutre d’un dessin au fond.

 

La décapitation de Samuel Paty vient confirmer ce sentiment diffus, franchement, ça vaut pas bien le coup de se faire trancher le cou pour expliquer des concepts d’un autre âge…

Etant donné que dans le même temps, des militants de gauche, formés à la laïcité, ont fini par intégrer par opportunisme électoral les idées racialistes du Parti des Indigènes de la République (P.I.R), et encouragent dès que l’occasion leur est donnée des mouvements d’indignation qui n’ont pas lieu d’être encouragés dans une nation politique, le déséquilibre est créé. Les universalistes perdent du terrain, les communautarismes avancent leurs pions. La fenêtre d’Overton s’est élargie à la question du blasphème et de l’offense, et ceci grâce à des militants situés à gauche. Je ne pensais pas cela possible.

 

Quand on demande aujourd’hui aux français s’ils sont toujours Charlie, ils disent oui, sauf deux groupes : les partisans de la France Insoumise, et les 18-24 ans, sur lesquels le discours de l’offense a mordu indéniablement. On imagine que les causes sont multiples, mais ce que peut nous raconter l’enquête de l’IFOP de décembre 2022, sur le nombre d’enseignants qui se sont déjà autocensurés pour éviter des incidents sur les question de religion, offre une lecture de ce chiffre. La laïcité, c'est acquis, pas inné.

 

Cette semaine, Raphaël Arnault, député LFI amateur de bagarres, a tweeté contre Bruno Retailleau qui revenait sur les arrestations des « influenceurs » algériens qui appellent à la sédition en France. Oh, pas directement, il est pas assez con pour ça, mais en faisant remarquer qu’il partageait pour l’occasion un média "d’estrèmedroate". Ainsi le message est passé, il s’oppose à Retailleau face à l’offensive algérienne en France (chez les sociologues de plateau, on appelle ça un dog whistle, un message codé pour un groupe particulier). Ils peuvent continuer à foutre la merde et à s’extraire du contrat de la Nation, ils ont des soutiens à l’assemblée.

 

Bon, autrement, CHARB me manque tous les jours. Et ça, c’est impardonnable.


Olivier Ryckewaert est un spécialiste de la gestion des collectivités, promoteur de la culture du design, praticien et formateur en innovation publique.

Egalement animateur/concepteur de la Fabrique de l’innovation publique (https://fabriqueinnovpublique.fr/fabrication/), une expérimentation de formation menée avec le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) pour des Labs ou des équipes chargées de l’innovation dans des collectivités.

Il fut auparavant, entre autres, directeur PRI Design’in Pays de Loire, membre de la direction générale des services de la Région, et collaborateur du Président de Région Jacques Auxiette.

Fondateur  de A.M.O. / O.R, assistance à Maitrise d’Ouvrage par Olivier Ryckewaert (http://www.amoor.fr/retour-sur-2021-en-a-m-o-o-r/).

Dernière contribution :   

https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2023/06/30/sur-la-sobriete-un-rapport-de-l-academie-des-technologies-par-olivier-ryckewaert-sp%C3%A9cialiste-de-l-innovation-publique/

 

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