
Dans Vivant ! Résistance et solidarité face au désordre climatique, Jean-Marie PIERLOT explore l’évolution des mentalités face au dérèglement climatique, à la dégradation de l'environnement et de la diversité de la vie, ainsi qu'aux dérélictions sociales et politiques qui marquent notre époque.
À travers une réflexion sur l’économie, mais aussi le rôle des associations et la mobilisation collective, il ambitionne de faire valoir que seule la coopération entre humains et non-humains permettra de surmonter les défis de l’anthropocène. Militant écologique de longue date, Jean-Marie Pierlot qui a travaillé pendant plus de vingt-cinq ans dans la communication au sein d’associations comme le WWF, Greenpeace, Amnesty International, qui a enseigné notamment à l’Université catholique de Louvain, s’inscrit dans une démarche philosophique pragmatiste, en s’efforçant de garder en tête la signification du mot « pratique ». Un pragmatisme basé sur la possibilité du changement et par l’examen de ce que nous faisons ou ... pas.
Vivant ! Résistance et solidarité face au désordre climatique
Par Jean-Marie Pierlot (Editions Couleur Livres, mars 2025)
Ce livre propose des solutions réalistes et rassembleuses, s’inspirant des luttes passées et des travaux de penseurs comme Karl Polanyi*, plus contemporains comme Alain Caillé, Bruno Latour, Philippe Descola, ou encore Hartmut Rosa.
Car l’écologie doit se confronter à la réalité, à travers des expériences, tandis que dans le même temps elle doit aussi se munir de repères théoriques.
Le pragmatisme de Jean-Marie Pierlot est le nôtre au PRé depuis sa création en 2010 : un pragmatisme qui n’est pas rhétorique, qui nommerait « réalisme » l’application de dogmes, sans souci des résultats pratiques.
C’est à l'inverse un pragmatisme qui invite à produire des effets sur le réel, en se coltinant ses rugosités.
Vivant ! est un livre essentiel pour les jeunes et moins jeunes, "militants" ou pas, leurs parents et grands-parents, pour peu que l'on accepte d'avoir une conscience clair des enjeux, et tous ceux qui souhaitent agir de manière efficace et solidaire face aux menaces qui pèsent sur notre planète Terre et nos sociétés.
Nous avons échangé avec notre ami Jean-Marie Pierlot, contributeur précieux du PRé, au sujet de son nouveau livre, et lui avons posé quelques questions avant sa sortie officielle ce mercredi 12 mars.
*La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, The Great Transformation, par Karl Polanyi; 1ère parution en 1983, Trad. de l'anglais (États-Unis) par Maurice Angeno et Catherine Malamoud. Préface de Louis Dumont (Gallimard)
Le PRé, Pourquoi avoir écrit ce livre ?
- Jean-Marie Pierlot, Les associations mobilisent un très grand nombre de bénévoles : près d’un citoyen sur quatre en France donne de son temps actuellement. Cinq millions et demi de donateurs soutiennent les associations par un don d’argent. Ce don de temps et d’argent constitue donc un formidable réservoir d’échanges non marchands et non monétaires, ignorés le plus souvent dans le discours de l’économie dominante. Face à la marchandisation de la société, j’ai voulu montrer qu’il y avait moyen de penser l’économique et le social autrement, en mettant au centre de la réflexion le don, créateur de liens sociaux.
Et ce n’est qu’en créant des alliances avec le vivant, humains et non-humains, qu’il sera possible de transformer notre rapport à la planète-mère qui nous héberge et de résister ensemble au désordre climatique.
Pourquoi l’économie dominante mène-t-elle à l’impasse ?
- Le néolibéralisme est convaincu de la place centrale du Marché pour régir les échanges entre les gens, considérés avant tout comme des consommateurs et non comme des citoyens : le rôle de l’État doit en effet s’effacer de plus en plus pour laisser toute liberté au marché. Dès lors, la jauge du bonheur est d’accumuler des biens en veillant chacun à son intérêt égoïste, fermé à toute dynamique relationnelle qui ne serait pas utilitaire.
Dans cette optique, les besoins sont considérés comme illimités, bien que les ressources disponibles soient limitées. La course aveugle à la croissance économique ne peut mener qu’à l’épuisement de ces ressources et à la perturbation des équilibres climatiques à cause des émissions humaines de gaz à effet de serre.
Quelle alternative économique proposez-vous ?
- Je me réfère à Karl Polanyi, anthropologue de l’économie, qui a observé le fonctionnement économique de nombreuses sociétés, éloignées de nous tant dans l’histoire que dans l’espace. Il en a déduit que le marché n’était pas, loin de là, la seule forme d’échange. À côté de ce dispositif, fondé sur une offre et une demande, on trouve trois autres principes d’échange : la redistribution, où une autorité centrale collecte des denrées et/ou des impôts et redistribue biens et services à sa population ; la réciprocité, ou l’échange de biens et de services entre groupes ou individus, sur un registre monétaire ou non-monétaire ; et l’économie domestique, le plus souvent non-monétaire, qui se déroule au sein de la famille. Sur cette base, Polanyi observe que l’histoire de l’humanité décline les divers moyens de subsistance que les humains ont cherché à s’approprier, dans un environnement bien différent d’une époque ou d’un territoire à l’autre.
Lorsque l’économie centrée sur le marché se distancie (se désencastre, dirait Polanyi) du social et ne poursuit plus comme objectif que l’enrichissement des plus nantis au mépris des moins favorisés, la société engendre de plus en plus d’inégalités et se décompose progressivement. Pire, elle s’avère incapable de mobiliser l’ensemble de ses citoyens pour unir les forces lorsque surgissent les catastrophes climatiques, de plus en plus fréquentes au fur et à mesure que les activités humaines perturbent les équilibres naturels.
Il s’impose donc de revaloriser la réciprocité comme alternative à la tyrannie du marché. Le mouvement du MAUSS (mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) s’appuie sur la théorie du don de Marcel Mauss, et considère que le fondement des sociétés réside dans la dynamique du donner-recevoir-rendre. C’est sur cette base que s’appuie la revitalisation du social et la refondation d’une véritable démocratie où les alliances du vivant redonnent une place aux humains et non-humains au sein de la nature qui les héberge.
Les réseaux sociaux aident-ils à recomposer le tissu social ?
- Avec la création d’Internet à la fin du XXe siècle, l’espoir a été grand de constituer un réseau universel de liens entre la grande majorité des habitants de la planète. Mais rapidement, des entreprises privées se sont appropriées les outils de communication de ce réseau pour en faire une opportunité de commerce. On parle dès lors d’une économie de l’attention, où les grands médias constitutifs des réseaux socionumériques, Facebook, suivi d’Amazon, Youtube et de quelques autres, ont progressivement marchandisé les rapports sociaux en leur promettant une illusoire gratuité d’utilisation, en échange d’une incitation à consommer les produits qui correspondaient le mieux à leur profil, défini à partir d’algorithmes soigneusement dissimulés. On connait les dérives de ces prescripteurs, qui ont pu aller jusqu’à saboter des élections démocratiques en influençant les votes des citoyens à leur insu.
- Comment alors reconstruire un projet démocratique de justice climatique ?
Il s’agit d’abord de revivifier l’espace public en mettant en place des lieux de délibération. A la place de la pseudo-démocratie de l’opinion, qui consiste à construire des politiques à partir de sondages qui reflètent les points de vue fabriqués par l’un ou l’autre influenceur, une véritable démocratie délibérative peut naître de la rencontre entre citoyens, avec l’appui d’experts mettant leurs connaissances à leur service. Ensemble ils examinent en profondeur les données d’un problème et y apportent une solution commune résultant de l’écoute et d’échanges impliquant une transformation intérieure des uns et des autres. La Convention citoyenne pour le Climat a été une mise en œuvre de ces principes en 2019 – malheureusement les promesses de mise en œuvre de ses conclusions par le pouvoir politique n’ont pas été tenues.
Cultiver la démocratie délibérative est une piste pour mettre ensemble tous les acteurs, humains comme non-humains, afin qu’ils créent des alliances du Vivant au sein de la nature, opposant à la destruction programmée de la nature le mot d’ordre « nous sommes la nature qui se défend ». Ces alliances trouvent leur force dans la dynamique du donner-recevoir-rendre, pour s’acquitter de la dette sans fin vis-à-vis de ce que la Terre nous donne et dont nous sommes redevables.

Jean-Marie Pierlot, chercheur en communication des associations, spécialiste de la communication stratégique, de crise et du Fundraising, a travaillé durant plus de 25 ans dans les secteurs santé, environnement, aide humanitaire, développement et droits humains, dans les bureaux belges de la Croix-Rouge, d'Amnesty International et de WWF, en qualité de responsable de la collecte de fonds privés et de la communication, et a enseigné la communication du non-marchand à l’UCLouvain (Université catholique de Louvain). Il fut aussi membre du LASCO, le Laboratoire d'Analyse des Systèmes de Communication d'Organisations (de 2000 à 2014); il a participé à l'édition d'un n° spécial de Recherches en Communication (UCL) sur Légitimation et Communication (n° 25, 2006) et a co-édité les Actes du colloque "Contredire l'entreprise" (Presses Universitaires de Louvain, 2010). Egalement membre du Centre d'Etudes de la Communication (CECOM) de l'UCLouvain (1986-2021). Il est aujourd’hui administrateur de l'association Entraide et Fraternité; membre du "comité sociétal" de NewB, banque coopérative belge, "éthique et durable" (depuis juin 2022).
Auteur notamment de Les nouvelles luttes sociales et environnementales - Notre-Dame-des-Landes, droit au logement, gaz de schiste, expérimentation animale…, 224 p (Vuibert, coll. Signature, 2015), avec Thierry Libaert; Penser son association pour mieux communiquer - Manuel à l'usage des petites et moyennes associations, 176 p, avec Fabienne Thomas (éd. Edipro, 2015); La communication des associations, 192 p, avec Thierry Libaert (Ed Dunod, 2009, 2014).
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