Climat : le GIEC s’alarme des conséquences vertigineuses d’un monde toujours plus chaud
Les effets du réchauffement sont désormais généralisés et souvent irréversibles, alertent les chercheurs. S’adapter aux nouvelles conditions de vie est essentiel, mais le monde sera de plus
en plus confronté à des dégâts auxquels il est impossible de remédier.
L’île de Felidhoo, aux Maldives, prise par les eaux, le 8 février 2022. MATHIAS DEPARDON POUR «LE
MONDE»
Les effets du réchauffement sont désormais généralisés et souvent irréversibles, alertent les chercheurs. S’adapter aux nouvelles conditions de vie est essentiel, mais le monde sera de plus en
plus confronté à des dégâts auxquels il est impossible de remédier.
Hirak. 101 détenus incarcérés pour leur participation aux manifestations ont été libérés le 14 juillet par le président Tebboune, dans le cadre
des commémorations de l’Indépendance. (Le
Monde)
TUNISIE
Covid-19. Le pays est submergé par une nouvelle vague d’infections et les hôpitaux sont saturés. (France
Info). Le Maroc a annoncé l’envoi d’une aide médicale d’urgence, composée de deux unités de réanimations, cent respirateurs et deux générateurs d’oxygène. La France a
classé le pays en liste rouge, les non-vaccinés devront donc disposer d’un motif impérieux pour s’y rendre et un isolement de 10 jours au retour sera obligatoire. (Le
Figaro)
MAROC
Covid-19. Le pays durcit les conditions d’entrées sur son territoire pour les voyageurs en provenance de France. Les personnes pleinement vaccinées devront se munir
d’un test PCR négatif, auquel s’ajoute une quarantaine de dix jours pour les personnes non ou à moitié vaccinées. (LCI)
AMERIQUE
BRESIL
Hospitalisation de Bolsonaro : Le chef de l’Etat a été admis mercredi dernier à l’hôpital des Forces armées à Brasilia pour une occlusion intestinale. Depuis qu’il a été poignardé dans l’intestin
en septembre 201, en pleine campagne pour l’élection présidentielle, Jair Bolsonaro a subi six opérations chirurgicales, dont cinq sur son système digestif. (SudOuest)
HAÏTI
Assassinat du président : Une semaine après l’assassinat du président, l’enquête révèle que l’opération aurait été commanditée aux Etats-Unis. Le cerveau présumé de l’opération serait un pasteur
américain d’origine haïtienne. Les représentants du FBI, du département d’Etat et du département de la Justice américaine ont été envoyé à Port-au-Prince pour aider l’enquête. Le secrétaire
d’Etat américain a insisté sur la mise en place rapide d’élections avant la fin de l’année(FranceInfo). La
France quant à elle plaide pour l’envoi de policiers internationaux sous l’égide de l’ONU notamment pour accompagner le processus électoral (BFMTV).
La République dominicaine reprend ses exportations vers Haïti : Les autorités dominicaines avaient décidé de fermer les frontières avec Haïti après
l’assassinat du président. Le gouvernement a cependant décidé d’autoriser la reprise des exportations pour des raisons humanitaires. L’objectif est de maintenir le
commerce haïtien suffisamment pour réduire la possibilité d’une pénurie générale qui susciterait une instabilité sociale et des flux migratoires. (FranceInfo)
CANADA/QUEBEC
Climat : Les feux de forêts continuent de ravager l’ouest canadien. Cette province habituellement
connue pour son climat tempéré et humide, fait face à une sécheresse et à une chaleur persistante. 31% des incendies sont hors de contrôle ; en effet, les feux de forêts étant trois
fois plus nombreux que d’habitude, les effectifs pour les combattre sont insuffisants (Rfi).
Mémoire : En quelques semaines, plus de 1 000 tombes anonymes ont été
découvertes dont récemment près de 160 à proximité d’un ancien pensionnat pour des enfants autochtones enlevés à leurs familles et en activité
jusqu’en 1975. Ces découvertes ravivent un pan douloureux de l’histoire canadienne et sa politique d’assimilation forcée des autochtones. (OuestFrance).
ASIE
CHINE
Economie. L’économie chinoise a connu une croissance modeste au deuxième trimestre 2021, avec une production en hausse de 7,9 % comparé à un deuxième trimestre 2020
encore marqué par les effets de la pandémie de COVID-19. La reprise de la deuxième économie mondiale reste fragile, estiment les économistes. (Le
Monde)
Agriculture. Les terres noires du nord-est de la Chine, d’où proviennent un tiers de la production céréalière chinoise, perdent de leur rendement en raison notamment de
leur surexploitation ces 40 dernières années. Le réchauffement climatique et l’agriculture extensive ont appauvri le sol, cette situation présente un enjeu de sécurité alimentaire pour le pays.
(RFI)
Marché de carbone. La Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, a annoncé le lancement du plus grand marché de carbone au monde en vue de réduire les
émissions polluantes du géant asiatique. Ce marché du carbone autorise, pour la première fois, les autorités provinciales à fixer des quotas pour les centrales thermiques et permet aux
entreprises d'acheter des droits de polluer à d'autres ayant une empreinte carbone plus faible. (France
24)
COREE DU SUD
COVID-19. La menace d’une quatrième vague a amené le gouvernement sud-coréen à introduire de nouvelles restrictions dans la vie sociale de la région de Séoul, dont
la Province de Gyeonggi (partenaire de la Région). Depuis le 8 juillet, le nombre de nouveaux cas de contamination bat chaque jour un record. Il a atteint le 10 juillet 1 378, dont 58
seulement introduits depuis l’étranger. (Courrier
international) Parmi les nouvelles mesures, certaines ont surpris les Coréens : les autorités ont décidé que les salles de gym n'auraient plus le droit de diffuser des
morceaux dont le tempo dépasse les 120 battements par minute (bpm) lors des cours collectifs. Gangnam Style, l'un des plus grands succès de la pop sud-coréenne va ainsi être
probablement retiré des playlists. (France
Info)
VIETNAM
COVID-19. Le nombre de cas de contamination continue d’augmenter au Vietnam, Hô Chi Minh-Ville demeure le territoire le plus touché. Plus de 4 millions de doses de
vaccin anti-COVID-19 ont été administrées jusqu’à présent. (Le
Courrier du Vietnam) Le Vietnam a approuvé le vaccin anti-COVID-19 de Johnson & Johnson, en utilisation d’urgence, il s’agit du sixième vaccin approuvé à ce jour au
Vietnam, après Astra Zeneca, Sputnik V, Pfizer, Vero Cell et Moderna. (Le
Courrier du Vietnam)
MOYEN-ORIENT
LIBAN
L’UE prépare des sanctions contre les dirigeants libanais. D’ici fin juillet, l’Union européenne imposera des sanctions contre certains dirigeants politiques
libanais. L’objectif est de faire pression afin qu’ils composent un gouvernement et mettent en place des réformes pour répondre à la crise du pays. (France
24)
Gouvernement. Saad Hariri, Premier ministre, renonce à former un gouvernement. Il a été nommé il y a neuf mois. L’équipe proposée mi-juillet n’a pas recueilli
l’accord du Président Aoun. A l’heure actuelle, aucune personnalité ne se dégage pour tenter de former un nouveau gouvernement, sachant que cette personne doit être sunnite, selon la
Constitution. (France
24)
IRAK
Incendie meurtrier dans un hôpital. Au moins 52 patients sont décédés lundi 12 juillet dans le feu qui a ravagé un hôpital traitant des patients atteints du
Covid-19. La cause pourrait être l’explosion de bouteilles d’oxygène. (Le
Monde)
ISRAEL
Covid-19. Le nombre d’infections recensées augmentent à nouveau, le 15 juillet a connu le bilan le plus lourd depuis mars. (I24)
La vaccination continue pour les plus jeunes, et à Tel Aviv des personnes considérées comme fragiles ont commencé à recevoir une troisième dose de vaccin. (France Info) Le
Premier ministre Naftali Bennett a même émis l’hypothèse d’un reconfinement face à cette augmentation des cas suite au variant
Delta. (Le
Figaro)
Installation d’une ambassade des EAU à Tel-Aviv. Il s’agit du troisième pays arabe à disposer d’une ambassade en Israël. Cela fait suite aux encouragements de
l’ex-président américain Donald Trump. L’ambassade israélienne à Abu Dhabi avait été inaugurée il y a quelques semaines. (France
24)
AFRIQUE
SENEGAL
Covid-19. Le pays connaît un rebond de contamination, le 13 juillet 25% des tests réalisés étaient positifs. Alors que la plupart des restrictions sont
levées, une partie de la population prévoit de se déplacer pour célébrer Tabaski (Aïd el-Kebir). Le syndicat national des médecins a appelé à réinstaurer des restrictions.
(Jeune
Afrique)
Nouveau code électoral. L’Assemblée nationale a adopté lundi un nouveau code électoral, issu du dialogue politique lancé en 2019 en vue des élections locales
de janvier 2022, puis des législatives et présidentielles de 2024. L’opposition dénonce un “recul démocratique”. (RFI)
MALI
Transition. Les anciens Président et Premier ministre de la transition sont toujours en résidence surveillée. Ibrahim Boubacar Keïta, renversé lors du premier
putsch, est lui en liberté. (Le
Monde). L’avocat de Bah N’Daw et Moctar Ouane menace de saisir la justice de la Cédéao. (RFI)
CÔTE-D'IVOIRE
Agriculture biologique. Reportage sur l’association Walo qui accompagne financièrement des agricultrices ivoiriennes dans leur transition
biologique. (France
Info)
MADAGASCAR
Finances publiques. Les employés des Centres anti-COVID, ouvert en mars pour désengorger les hôpitaux, réclament leur salaire. Près de 700 salariés - soignants,
médecins, personnel administratif - des sept centres n'ont toujours pas reçu de salaire ou partiellement pour certains. Ces employés brandissent la menace d'une grève. (RFI)
COVID-19. Le variant Delta, présent dans l’Océan Indien, menace Madagascar. Il a été détecté à la Réunion et à Maurice, le gouvernement malgache a donc décidé de
prolonger la fermeture des frontières pour une durée indéterminée afin de protéger le pays. D’après les séquençages en cours sur l’île, le variant n’a pas été détecté sur le territoire, mais les
autorités se préparent à cette éventualité. (RFI)
CEI
ARMENIE
Des milliers d’Iraniens vont en Arménie se faire vacciner. L’Iran est le pays du Moyen-Orient au nombre de décès dus à la COVID est le plus élevé. Pour
l’heure, moins de 2% de la population a reçu les deux doses de vaccins. De nombreux Iraniens ont donc décidé de se rendre en Arménie où l’inoculation de vaccins est
restée faible notamment dû à une méfiance généralisée à l’égard des vaccins et où les autorités distribuent des doses gratuites aux visiteurs étrangers.
L’afflux a inondé les centres arméniens de dépistage. Le gouvernement a donc imposé de nouvelles restrictions. Les visiteurs étrangers ne peuvent recevoir le vaccin
que dans cinq cliniques désignées à Erevan et doivent passer au moins 10jours en Arménie avant de pouvoir se faire vacciner (euronews).
Tensions avec Bakou : Un nouvel incident a éclaté près de l’exclave occidentale azerbaïdjanaise du Nakhitchevan. Les deux parties se sont mutuellement accusées
d’être à l’origine de la fusillade (armenews).
Le Monde
Plan de relance : comment se répartissent les 30 milliards pour la transition écologique
En matière environnementale, le plan de relance, que le gouvernement présente aujourd’hui, cible la rénovation thermique, les transports, l’énergie et la décarbonation de l’industrie.
Publié le 03 septembre 2020 à 06h59 - Mis à jour le 03 septembre 2020 à 15h28
Travaux de modernisation d’une ligne ferroviaire près de Tonnerre (Yonne), le 24 août. PHILIPPE DESMAZES /
Un tiers environ du plan de relance économique présenté jeudi 3 septembre sera consacré à la transition écologique, ou encore au « verdissement de l’économie », selon les
mots du gouvernement, soit une trentaine des 100 milliards d’euros annoncés sur la période 2020-2022. Ces 30 % consacrés à cette « accélération sans précédent » de la
transformation écologique correspondent, de fait, aux 30 % qui doivent être attribués à la lutte contre le réchauffement climatique, selon les critères du plan de relance européen
présenté en juillet.
La volonté affichée est de « couvrir tous les champs d’activité les plus émetteurs de gaz à effet de serre » et de rendre ce plan cohérent avec les objectifs climatiques de
l’accord de Paris de décembre 2015.
Sans surprise, les plus grosses sommes seront investies dans les transports (11 milliards d’euros), l’énergie (9 milliards) et la rénovation énergétique des bâtiments
(7 milliards). A cela, il faut ajouter les mesures dévolues à l’agriculture et à l’alimentation (1,2 milliard d’euros, notamment pour la transition agroécologique, le bien-être
animal et le développement des circuits courts), ou encore 250 millions pour la mer (verdissement des ports, aquaculture, pêche…).
« Véhicules propres »
Si leur affectation n’est pas encore très détaillée, les principales cibles sont connues. Pour le volet transports – intitulé « infrastructures et mobilités vertes » –, le
grand gagnant est le rail, avec 4,7 milliards d’euros qui iront au fret ferroviaire, aux petites lignes, aux trains de nuit, à l’aide pour la rénovation du réseau, etc.
Les « mobilités du quotidien » emportent 1,2 milliard d’euros, dont une partie servira à accroître l’usage du vélo (pistes cyclables, plan entretien), le reste
profitant au développement des transports en commun. La voiture n’est pas oubliée, avec 1,9 milliard d’euros pour les aides à la conversion vers des « véhicules
propres » et le système de bonus-malus, sans oublier le parc de l’Etat (180 millions).
Le plan de relance va consacrer une somme importante à la rénovation énergétique, que ce soit celle des bâtiments publics (gendarmerie et police, palais de justice, préfectures, écoles,
universités…), avec 4 milliards d’euros, ou celle des bâtiments privés (2 milliards), avec l’extension du dispositif MaPrimeRénov à tous les Français à partir du
1er janvier 2021, notamment aux propriétaires bailleurs et aux copropriétés, ce que réclamaient les associations.
Sur l’énergie, 2 milliards d’euros vont financer la filière hydrogène (et 7 milliards annoncés jusqu’en 2030). Enfin, 1,2 milliard d’euros ira à la décarbonation de
l’industrie et 500 millions seront destinés à l’économie circulaire (recyclage, déchets).
L’annonce de ces 30 milliards d’euros d’investissements fléchés vers des objectifs écologiques et climatiques ne déplaît pas, bien sûr, aux organisations environnementales. Même si, ainsi
que le fait remarquer Anne Bringault, responsable transition énergétique du Réseau Action Climat, « [le ministre de l’économie] Bruno Le Maire avait déclaré, le 27 juillet,
devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, que le plan de relance dans son ensemble serait un plan de relance vert, ce qui n’est pas le cas ».
Ces 30 milliards ne suffiront pas à eux seuls à assurer la transition écologique de l’économie, estiment les écologistes. « Ils ne sont que le premier pas, nécessaire, mais ils ne
doivent pas être exceptionnels, il faudra investir cette somme pendant dix ans. Surtout, il faudra évaluer l’incidence sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre »,
insiste le député de Maine-et-Loire (Ecologie Démocratie Solidarité) Matthieu Orphelin.
Ne pas investir dans le « brun »
« C’est un bon début, mais il faut que ces montants soient pérennisés : le climat a besoin d’un effort sur la durée », rappelle aussi Louise Kessler, directrice du
programme économie de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE). Selon les chiffrages de ce think tank, il faudrait 9 milliards d’euros d’argent public supplémentaires chaque année
jusqu’en 2023, puis 22 milliards en plus par an entre 2024 et 2028, pour respecter les objectifs de la stratégie nationale bas carbone dans trois secteurs, les transports, le bâtiment
et l’énergie.
Pour réellement favoriser cette transition, l’enveloppe du plan de relance doit en outre « être additionnelle, financer des investissements et non pas combler les déficits liés à la
crise, et permettre de structurer des filières, notamment dans la rénovation des bâtiments », ajoute Louise Kessler.
Surtout, investir dans le « vert » n’a de sens que si l’on n’investit pas dans le « brun », comme l’a rappelé le Haut Conseil pour le climat dans son rapport annuel de juillet. Or, depuis le début de la crise sanitaire,
la France a adopté « 43 milliards d’euros d’aides pour les grandes entreprises, dont les industries polluantes comme l’aérien et l’automobile », dans le cadre des
2e et 3e projets de loi de finances rectificative, « sans réelles contreparties environnementales », dénonce Clément Sénéchal, chargé de
campagne climat de Greenpeace France.
Les responsables associatifs s’inquiètent par ailleurs de l’enveloppe de 20 milliards d’euros de baisses d’impôts de production, dont les principaux bénéficiaires pourraient être le secteur
financier et les grandes entreprises de l’énergie, ainsi que le milliard alloué à la relocalisation des entreprises, intégrés au plan de relance sans annonce d’écoconditionnalité des aides. Pour
Clément Sénéchal, « le “en même temps” ne fonctionne pas dans un monde aux ressources finies ».
Le PRé est heureux de cette (importante) mission confiée à notre ami Benjamin Stora, membre du conseil scientifique du PRé
Emmanuel Macron confie à l’historien Benjamin Stora une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie »
Le Monde avec AFP - Le Monde
L’historien devra, d’ici la fin de l’année, « formuler librement des recommandations » en vue de favoriser « la réconciliation entre
les peuples français et algérien ».
Publié aujourd’hui 2 juin 2020 à 06h00, mis à jour à
10h53
Factuel
Le bilan annuel du Global Forest Watch révèle que le couvert forestier a reculé de 24 millions d’hectares dans le monde
en 2019. Près d’un tiers de ce recul est survenu dans les forêts primaires tropicales humides, qui jouent un rôle clé dans la régulation du climat.
Les images d’arbres multiséculaires partant en fumée au Brésil ou en Australie avaient ému le monde entier en 2019. De
gigantesques incendies avaient également ravagé la Sibérie, l’Arctique, le bassin du Congo ou la Californie. Au total, ce ne sont pas moins de 24 millions d’hectares de couvert forestier qui
ont disparu en 2019, sous l’effet des feux mais aussi des coupes à blanc ou des perturbations naturelles, selon le bilan annuel du Global Forest Watch, une plate-forme internationale de
suivi des forêts menée par le think tank américain World Resources Institute (WRI).
D’après les chiffres publiés mardi 2 juin, les tropiques ont payé un lourd tribut, avec la perte de 12 millions
d’hectares. Près d’un tiers de ce recul (3,8 millions d’hectares) est survenu dans les forêts primaires tropicales humides, qui jouent un rôle clé dans la régulation du climat, le maintien
de la biodiversité et de la fertilité des sols. C’est l’équivalent de la perte d’un terrain de football de forêt primaire toutes les six secondes pendant un an.
« Les forêts primaires sont les plus critiques du monde car il faudra des décennies, voire des millénaires, pour
qu’elles se régénèrent », indique Mikaela Weisse
Cette perte de forêts primaires tropicales est la troisième plus élevée depuis le début du siècle, après 2016 et 2017.
« Ces niveaux sont inacceptables, tonne Frances Seymour, chercheuse au WRI. 2020 devait
être l’année où l’on arrête la déforestation, mais on prend la direction opposée. » « Les forêts primaires sont les plus critiques du monde car il faudra des décennies, voire
des millénaires, pour qu’elles se régénèrent », ajoute Mikaela Weisse, responsable du projet Global Forest Watch.
Données satellites
Le Global Forest Watch, qui utilise des données satellites compilées par l’université du Maryland (Etats-Unis), n’observe pas
la déforestation (suppression d’une forêt) mais la perte de couvert arboré, c’est-à-dire la disparition d’arbres dans les forêts naturelles et les plantations. Il ne tient en outre pas compte de
la restauration ou de la régénération des arbres, de sorte que ses données ne sont pas une indication de changement net. D’où le fait que ses résultats diffèrent fortement de ceux de
l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui évoque, dans son dernier rapport de mai, une déforestation (en perte brute) de 10 millions d’hectares par an en moyenne au cours des cinq dernières années à l’échelle
mondiale.
« La FAO comptabilise la déforestation, c’est-à-dire la disparition d’un minimum d’un demi-hectare avec une
couverture arborée d’au moins 10 %, tandis que le Global Forest Watch compte chaque arbre prélevé sur une surface de 30 × 30 mètres (0,09 hectare). Or, parfois,
l’exploitation dégrade la forêt, mais cela reste encore de la forêt », précise Plinio Sist, directeur de l’unité forêts et sociétés au Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement. « Les chiffres du Global Forest Watch ont pour intérêt d’être issus d’une évaluation indépendante et d’être accessibles à tous, tandis que ceux de la
FAO dépendent des données que les pays transmettent », poursuit le chercheur.
Qu’il s’agisse de déforestation ou de perte de couvert arboré, les forêts tombent pour les mêmes raisons : pour être
converties en terres agricoles, en pâturages ou en plantations industrielles (palmiers à huile, soja, etc.). Elles laissent également place à des exploitations minières, des infrastructures et
des villes.
L’Amazonie brésilienne très touchée
Selon les résultats du Global Forest Watch, le Brésil est à lui seul responsable de plus d’un tiers de la perte de forêts
primaires tropicales dans le monde en 2019, avec un recul de 1,4 million d’hectares. Les coupes claires pour l’agriculture ont considérablement augmenté dans l’Amazonie brésilienne
en 2019, notamment du fait de la politique du président Jair Bolsonaro. En revanche, et contrairement à la Bolivie voisine, les incendies ne sont pas la principale cause du recul des forêts primaires
dans le pays, selon le Global Forest Watch. Le Brésil a bel et bien enregistré un nombre très élevé de feux mais ils sont le plus souvent survenus dans des zones déjà dégradées ou partiellement
déforestées.
La République démocratique du Congo est le deuxième pays le plus touché, enregistrant la disparition de 475 000 hectares
de couvert arboré en 2019. Suit l’Indonésie, avec un recul de 324 000 hectares. Le pays connaît toutefois une amélioration, en enregistrant pour la troisième année consécutive une
baisse de la perte de couvert arboré, sans doute sous l’effet d’un moratoire désormais permanent sur les défrichements pour les plantations de palmiers à huile et l’exploitation forestière,
explique l’étude.
Des terres brûlées près d’une plantation de palmiers à huile, en Indonésie, en septembre 2019. WILLY KURNIAWAN /
REUTERS
Les autres lueurs d’espoir proviennent du Ghana et de la Côte d’Ivoire, qui ont tous deux réduit la perte de forêts primaires
de plus de 50 % en 2019 par rapport à l’année précédente, notamment suite aux engagements pris par les deux pays et les grandes entreprises de cacao de mettre fin à la déforestation et
de restaurer les forêts. Après deux années de forte progression de la déforestation sur son sol, la Colombie a également enregistré un renversement de tendance en 2019, qui pourrait
s’expliquer par les nouveaux objectifs du gouvernement de réduire la déforestation et de planter 180 millions d’arbres d’ici à 2022.
De nouvelles menaces avec le Covid-19
En dehors des tropiques, les incendies qui ont ravagé l’Australie entre la fin de 2019 et le début de 2020 ont entraîné une
perte de couvert arboré massive dans le pays : 1,7 million d’hectares ont disparu, soit six fois plus qu’en 2018. L’impact réel des incendies est probablement pire, car les données
de l’étude ne tiennent pas compte de ceux qui se sont poursuivis en 2020.
S’il est trop tôt pour indiquer les tendances mondiales de l’année en cours, les nouvelles sont mauvaises sur le front
amazonien : la saison sèche laisse craindre « un nouvel été record d’incendies » et « la déforestation se poursuit à un rythme élevé », prévient Plinio
Sist. La pandémie de Covid-19 entraîne en outre de nouvelles menaces pour les forêts, selon le Global Forest Watch. A court terme, celles-ci risquent de subir davantage de défrichements illégaux
dans la mesure où les agents chargés du contrôle sont moins nombreux sur le terrain. A moyen terme, les pays pourraient être tentés de sacrifier les forêts afin de stimuler leur économie au moyen
d’industries extractives.
Dans la forêt amazonienne, près de Humaita (Brésil), en août 2019. UESLEI MARCELINO / REUTERS
Afin de protéger à la fois les forêts primaires, « d’une valeur inestimable », mais également les forêts
dégradées, qui abritent encore beaucoup de biodiversité, il est nécessaire de « revoir notre agriculture et de développer les plantations pour répondre à une demande en bois qui doit
doubler d’ici à 2050 », estime Plinio Sist. L’écologue appelle aussi à mettre en place des programmes de restauration forestière pensés avec les populations locales. « Dans le
passé, nombre de programmes de restauration forestière ont échoué faute de financements suffisants et en raison d’une gouvernance impliquant très peu les acteurs locaux »,
note-t-il.
« Il manque toujours des mesures concrètes et réellement efficaces pour que les acteurs économiques cessent de produire
ou d’importer des produits issus de la déforestation », juge Frédéric Amiel
« Malgré une meilleure prise de conscience face à la déforestation et l’adoption d’objectifs tels que
la Stratégie nationale de lutte contre la déforestation
importée, il manque toujours des mesures concrètes et réellement efficaces, comme des obligations légales, pour que les acteurs économiques cessent de produire ou d’importer des
produits issus de la déforestation, juge de son côté Frédéric Amiel, chercheur à l’Institut du développement durable et des
relations internationales. Il faut désormais davantage de volonté politique des gouvernements, sans quoi nous allons détruire les dernières forêts qui restent. »
Serge Guérin : "Le Covid-19, une leçon d'humilité"
LE MONDE D'APRES Sa "nature", optimiste et constructive, prend le dessus au moment de diagnostiquer la situation "sociétale" de la France confrontée à la pandémie du Covid-19. Le
sociologue Serge Guérin n'élude certes pas les spectres qui défient la communauté, mais il veut retenir en priorité les enseignements à même, demain, d'éclore et de "profiter".
Profiter à une prise de conscience des dérives de notre époque ; à une nouvelle hiérarchisation de l'essentiel ; à la conscientisation écologique ; au dépeçage de la double
tyrannie de la performance et de l'autonomie ; à la redéfinition d'objectifs responsables pour une mondialisation aujourd'hui ivre et dépossédée de sens ; à une relation renouvelée aux
territoires et à la résurrection d'un Etat-providence repensé "avec les Français, et non plus pour les Français". Et à recouvrer un peu de "l'humilité" que l'arrogance ou le scientisme
ont chassé. Surtout, cet expert des sujets de santé et d'intergénération, espère que "l'événement coronavirus" révélera au plus grand nombre - et à la classe politique dirigeante - les trésors du
"care", cette éthique de la sollicitude qui emmêle harmonieusement "soin de soi" et "soin de l'autre". L'heure est de se tourner vers un "égoïsme solidaire".
LA TRIBUNE - Ce moment si particulier de début de confinement, comment l'éprouvez-vous intimement, comment l'interprétez-vous intellectuellement ?
Serge Guérin : Je suis un "hyper-actif", en besoin et plaisir permanent d'interagir visuellement, verbalement, intellectuellement avec autrui ; le confinement n'est vraiment
pas fait pour moi (rires) ! Pour l'heure, je demeure très occupé - à échanger avec des proches, à résoudre des problèmes administratifs et techniques, à voir comment me rendre utile, à
adapter les cours pour mes étudiants, à répondre aux journalistes, etc. Mais plus tard ? Si cette réclusion perdure ? L'inquiétude personnelle du moment se concentre essentiellement sur
la vulnérabilité de certains de mes proches, de santé fragile et que je ne peux accompagner physiquement. L'inquiétude plus générale est proportionnée à la dimension de la déflagration :
dans quel état psychique, social et économie allons-nous sortir ?
Le dogme dominant, celui qui dicte nos comportements et modes de vie, est le mouvement. "Oser" avouer le plaisir ou les vertus des antonymes - silence, lenteur, immobilisme - est même
suspect. Cette claustration forcée peut-elle permettre d'en réveiller et surtout faire connaître les trésors ?
A cet égard, et même si cela peut paraître anecdotique et même amusant, il faut souligner que celui qui nous impose - avec raison - de nous confiner dans l'immobilisme physique est un chef d'Etat
qui, dans son comportement et son ADN politique, incarne comme personne le mouvement perpétuel et dont la formation politique a pour nom... En marche ! L'idéologie presque dictatoriale de
l'action, du "bougisme" ainsi décrit par Pierre-André Taguieff, est balayée par son emblème le plus caricatural !
Indéniablement, et moi-même qui me reconnais pleinement dans les propriétés de l'action le concède, ce moment doit être une opportunité pour "regarder" les attributs du temps long, du temps lent,
pour s'écouter et dialoguer autrement. L'écologie humaine globale questionne en profondeur ce sujet, y compris parce qu'elle nous expose une règle d'or : le rythme du temps conditionne
l'état de fragilité. En d'autres termes, ralentir le rythme et adapter l'environnement réduit l'exposition à la fragilité, et bien sûr réciproquement.
"La vitesse et l'étendue vertigineuses de la propagation du virus résultent de la quasi instantanéité des échanges humains, de l'étourdissante mobilité humaine, de l'extrême densité humaine.
Ce n'est pas le virus qui se déplace : ce sont les humains qui le déplacent, ce sont l'économie mondialisée et le culte de l'immédiateté
qui le déplacent."
A ce titre, les propriétés contagieuses du virus Covid-19 ne constituent-elles pas elles-mêmes une leçon ?
Absolument. Ce virus n'est pas aéroporté, il se transmet exclusivement par l'homme. La vitesse et l'étendue vertigineuses de sa propagation résultent de la quasi instantanéité des échanges
humains, de l'étourdissante mobilité humaine, de l'extrême densité humaine.
Ce n'est pas le virus qui se déplace : ce sont les humains qui le déplacent, ce sont l'économie mondialisée et le culte de l'immédiateté qui le déplacent. Nous
allons faire l'expérience que le ralentissement drastique du "temps physique" et l'imperméabilité des échanges humains, liés au confinement, sont le seul moyen d'endiguer la pandémie.
Cela nous change de la "dictature de l'urgence", pour reprendre le titre d'un ouvrage de Gilles Finchelstein. Ce qui va à l'inverse absolu de l'idéologie dominante : "celui qui gagne est
celui qui va le plus vite et s'adapte le plus vite". Renversement de perspective instantané !
Dans son acception grecque (Krisis) ou latine (crisis), la crise est une ouverture aux possibles et aux issues les plus antithétiques. L'"état" de l'Etat français, l'"état" de la
gouvernance internationale, mais aussi l'"état" des individus - dans leur individualité comme dans leur rapport à la collectivité - autorisent-ils un espoir ?
"L'espérance est un risque à prendre" : je fais mienne, cardinale, cette belle formule de Georges Bernanos. Le pessimisme, surtout lorsqu'il déborde de la rationalité et du fondement réaliste,
est inutile. Et même contre-productif, comme s'y emploient les adeptes de la collapsologie. Difficile de construire une issue concrète et partagée à une crise sur le seul terreau de la
désespérance.
Les slogans vides du type "indignez-vous" ne produisent pas de solutions, la désespérance est soeur du fatalisme et nie le sens. Or sans sens, sans vision de l'avenir souhaité et possible, point
de possibilité de réveil.
Primo Levi l'a si bien écrit : entre le blanc et le noir, situés aux extrémités du spectre, existe un infini nuancier de gris. Dans les gris les plus sombres, la demande d'un régime plus
autoritaire ; dans les gris foncés, les logiques et les mécanismes qui s'emploieront à "un retour comme avant" ; dans les gris clairs, fourmille une multitude de raisonnements, de prises de
consciences, d'initiatives entrepreneuriales, associatives, communales, territoriales, individuelles qui explorent un autre avenir. Focalisons-nous sur leurs promoteurs.
La première épreuve à laquelle sont exposés les Français, cloîtrés dans l'intimité de leur foyer ou de leur solitude, est celle du rapport d'"eux à eux-mêmes". Là aussi l'éventail
des réactions est infini, certains périls sont redoutés - au sein des couples "déjà" déchirés, dans les foyers incompatibles avec la promiscuité, chez les personnes vulnérables aux addictions et
aux violences physiques et sexuelles, etc. - ; le sociologue pronostique-t-il des faits saillants ?
Pour exemple, l'idée du président de la Région Hauts-de-France Xavier Bertrand de proposer aux personnes confinées de consulter par téléphone des psychiatres ou psychologues est une excellente
approche excellente dans cette période. Un service qui devrait perdurer après la sortie de crise.
Se retrouver pour un temps indéterminé seul face à soi-même est une opportunité, dès lors que l'environnement affectif et matériel ne constitue pas un obstacle, dès lors aussi que l'on est
personnellement, psychiquement, en condition de se mettre à nu. Nous ne disposons pas des mêmes capacités de ressourcement, d'une manière uniforme de gérer une circonstance déstabilisante.
La situation personnelle, sociale, familiale ou économique, peut jouer fortement, et se répercuter sur la façon de vivre ce confinement. Les couples en crise avant ont peu de chances de
se porter mieux pendant. Il y a malheureusement à redouter effectivement une augmentation des dérapages, plus ou moins aigus et graves. Lorsqu'on ne supporte pas l'agitation de ses
enfants ? Lorsque le dialogue est rompu avec sa compagne ou son compagnon ? Lorsque la consommation d'alcool expose à la violence ?
"Une multitude de raisonnements, de prises de consciences, d'initiatives entrepreneuriales, associatives, communales, territoriales, individuelles qui explorent un autre avenir,
fourmille. Focalisons-nous sur leurs promoteurs."
A contrario d'aucuns pronostiquent un effet "baby boom" d'ici neuf à dix mois. Ils omettent que le bondissement des naissances au lendemain de la guerre avait pour théâtre une re...
naissance, pour scène une euphorie contagieuse...
Absolument. Comment vouloir enfanter lorsque le contexte est à ce point anxiogène et l'avenir aussi incertain ? Et puis, dans l'après-guerre, les moyens contraceptifs n'étaient pas ceux
d'aujourd'hui. Sur ce plan, il faudra regarder l'évolution de deux indices : "baby-boom" et... "divorce boom" !
Chaque nouveau rapport d'études le confirme : l'ampleur des inégalités croit inexorablement au sein de la société française. Ce "moment" que nous subissons pourrait être de nature à
les dégrader davantage encore. Ou au contraire - et alors à quelles conditions ? - à les réduire. Ces inégalités, un sujet les concentre et les symbolise : le lieu du confinement. Et
les manifestations sont paradoxales, qui constituent autant de marqueurs singuliers...
C'est d'ailleurs un peu la revanche des gilets jaunes. Nombre d'entre eux vivent en zones rurales ou périurbaines, dans une maison modeste mais souvent pourvue d'un jardin, même petit. Le
confinement dans de telles conditions peut sembler plus tolérable que l'exigu 2 pièces dans un beau quartier parisien.
Mais attention, c'est aussi du côté des gilets jaunes que l'on trouve le plus d'individus aujourd'hui sur le front : personnels de soin en premier lieu, mais travailleurs dans les magasins
d'alimentation, professionnels de la sécurité, postiers.... et c'est du côté des mêmes gilets jaunes que le chômage frappe déjà et frappera le plus durement.
A l'autre bout de l'échelle sociale, le mouvement d'exode de Français plus privilégiés, nantis d'une résidence secondaire loin des villes, et qui pour certains ont déversé leur satisfaction
prétentieuse sur les réseaux sociaux, exerce une sacrée violence symbolique. Sans compter les effets de leur invasion de territoires aux équipements de santé limités.
Et ce n'est pas seulement symbolique ; comment, par un effet boomerang, ne pas penser aux moins bien lotis, cloîtrés dans des espaces réduits ? Mais ces privilégiés font aussi l'épreuve
du rejet, de la part des autochtones envers ces "citadins" qui viennent "potentiellement les infecter". On voit aussi des jeunes, certes minoritaires, qui visiblement ne veulent pas jouer le jeu
et se sentent parfaitement étranger à cette "guerre". J'entends déjà dire que le "commun" domine dans cette période, mais je crois que la réalité est plus nuancée.
Si seulement, de cette expérience d'ostracismesubi, ils pouvaient tirer des enseignements quant à l'ostracismeexercé, celui par exemple qu'ils peuvent
réserver aux migrants...
Partout il est question de "prendre soin". Or jamais le fameux principe du "care", depuis longtemps négligé et même raillé - Martine Aubry, sèchement défaite lors des Primaires
socialistes de 2012, lui avait consacré le substrat cardinal de son programme - n'avait été à ce point sollicité. Cette prise de conscience peut-elle dépasser le cadre des circonstances et être
durable ?
C'est là un sujet majeur. Qu'est-ce que le care ? Une "éthique de la sollicitude", valorisant "le soin et l'attention à l'autre". Or tout, aujourd'hui, est care. Que
demande-t-on à la population, qu'exige-t-on d'elle ? De prendre soin d'elle-même pour prendre soin de l'autre... Le "prends soin de toi", qui fleurit dans nos conversations, dans la
signature de nos textos, exprime une culture du care, une attention à l'autre qui est aussi une attention de soi.
... Mais l'enjeu véritable est de dépasser le soin de soi pour porter le soin à l'autre. Le care est altruisme, il n'est pas égotisme, et ses vertus humanistes et sociétales dépendent de
sa faculté d'essaimer, de ramifier, d'unir...
Bien sûr. C'est pourquoi nous louons aujourd'hui l'ensemble de la communauté des soignants - au sens très large de son acception, puisqu'il faut y inclure tous les invisibles : personnels de
santé et de soin, volontaires, réserve sanitaire, administratifs, accompagnants au domicile qui forment la longue chaîne du care.
Je n'oublie surtout pas les aidants d'un proche qui sont encore plus isolés aujourd'hui. Ces soldats du front risquent pour eux-mêmes afin de nous venir en aide ; c'est d'ailleurs la raison
pour laquelle il est si important de respecter les consignes de confinement, car de leur stricte application dépendent les conditions dans lesquelles ils vont pouvoir exercer leur mission.
Le confinement est une illustration du vœu du care, et aussi de cette interdépendance liant le soin de soi au soin de l'autre : en prenant soin de moi, je limite la propagation du
virus et donc participe à prendre soin d'autrui. C'est bien la notion de "soin mutuel" qui est un levier majeur du care. Si la conscience que nous avons du virus nous permet de prendre
conscience de cette absolue interaction, peut-être que cette conscience nouvelle du care perdurera. Au mois dans une partie de la population.
" Le mouvement d'exode des Français privilégiés, nantis d'une résidence secondaire loin des villes, et qui pour certains ont déversé leur satisfaction prétentieuse sur les réseaux sociaux,
exerce une sacrée violence symbolique "
Chacun, aujourd'hui, est imparablement confronté à la conscience de sa vulnérabilité personnelle. Dans ce champ aussi, il est à espérer que cette introspection diffuse une conscience
universelle de la vulnérabilité. Jusqu'à remettre en question quelques principes a priori invincibles : réussite, conquête, succès, compétition... ?
... et aussi : performance et autonomie. Cette double doctrine, si hégémonique, est défaite. Nous découvrons que nous sommes incroyablement dépendants - en premier lieu des soignants, mais
aussi du comportement de chaque "autre" -, et la performance est désormais l'immobilisme, la réclusion.
Les fondements de l'idéologie dominante sont totalement inversés, nous assistons à une formidable révolution. C'est la question de la conscience de l'autre, du don, dont Mauss a montré l'aspect
essentiel dans la relation humaine.
C'est le "nous sommes" de Camus : "j'ai besoin des autres qui ont besoin de moi", écrit-il dans L'Homme révolté. Une de mes filles m'a fait relire L'Entraide de Kropotkine qui
évoquait le plaisir de pratiquer le soin mutuel.
Mais attention, tout cela s'applique au moment présent, et ne concerne qu'une partie de la société française.
A long terme, c'est-à-dire au-delà de la crise, peut-on donc penser que cet électrochoc modifiera la considération de la société et des gouvernants pour les notions mêmes de fragilité et
de vulnérabilité ?
Il est trop tôt pour l'affirmer. Deux réflexes peuvent dominer. Le premier consiste à revenir très vite à ses habitudes. Le second serait que le choc issu de la pandémie produise une sorte
d'"égoïsme solidaire" tel que je qualifie le care - "j'ai tout intérêt que la société prenne en compte toutes les formes de fragilité puisque celles-ci peuvent du jour au lendemain me frapper".
Dans ce cas, nous pourrions espérer une société différente.
" Le confinement est une illustration du vœu du care, et aussi de cette interdépendance liant le soin de soi au soin de l'autre : en prenant soin de moi, je limite la
propagation du virus et donc participe à prendre soin d'autrui. "
Imaginons l'hypothèse, funeste, d'une implosion de l'organisation et des services de soins, d'une déflagration humaine frappant malades et soignants, victimes communes d'une dégradation
du système de santé depuis longtemps dénoncée. Quelle sanction politique, Emmanuel Macron et Edouard Philippe pourraient-ils essuyer ?
Voilà un an que les personnels des hôpitaux publics alertent les gouvernants sur leur situation, catastrophique. Qu'il s'agisse de rémunération, de ressources humaines, de moyens financiers, de
conditions de travail, le cri d'alarme n'a cessé de retentir, pour des résultats très en-deçà des besoins. Aujourd'hui, et alors que la pandémie va mettre davantage en lumière ces tensions
extrêmes, il n'est pas imaginable que des mesures à la hauteur de la gravité ne seront pas prises une fois la crise passée.
Sera-ce suffisant pour endiguer l'éruption ?
Certainement pas. A l'union nationale qui - heureusement - domine aujourd'hui succédera l'heure des enseignements. Et des comptes. La nation aura besoin d'un signal fort. Emmanuel Macron mué en
chef de guerre peut sortir renforcé. Mais aussi très fragilisé par sa gestion comme par sa posture et par la situation économique qui menace d'être catastrophique. Aucun scénario n'est à exclure.
Ni l'expression d'une attente pour un Etat fort et même autoritaire ; ni l'envie d'un changement profond de politique pour revenir à un Etat providence - une sorte de gaullisme social version
XXIe siècle (et lesté d'un effroyable endettement) serait une possibilité. Reste une question centrale : qui pourra incarner un débouché politique ?
Les exemples d'actes de solidarité fleurissent, et d'aucuns de prophétiser le réveil du "sentiment de citoyenneté" au sein de la population. Est-ce crédible ? Réaliste à grande
échelle ? Et surtout, là encore, durable ?
Les amortisseurs de la société sont composés du foisonnement permanent des initiatives de micro-solidarité. Elles témoignent qu'une société progresse par elle-même et non à partir des directives
d'Etat. Mais elles font face à un redoutable adversaire : la tentation du repli, de se recroqueviller, de se claquemurer. Là encore s'impose le nuancier des gris cher à Primo Levi...
Il est un domaine, en revanche, où ce "sentiment de citoyenneté" pourrait se manifester de manière spectaculaire : la confiance en la science. On le sait, celle-ci est en berne, et que la
France, pourtant patrie de Pasteur, trône au sommet des pays les plus rétifs aux vaccinations en est un symptôme. Qui aujourd'hui oserait refuser un vaccin contre le covid-19 ? Personne ou
presque...
A l'union nationale qui - heureusement - domine aujourd'hui succédera l'heure des enseignements. Et des comptes. La nation aura besoin d'un signal fort
... Or, existe-t-il plus fort symbole de la double conscience du soin pour soi et du soin pour autrui que l'antidote ?
Que n'a-t-on pas lu ou écouté, également, d'aspirations à profiter de cette crise pour "changer son comportement", "changer son rapport à la consommation", "changer la hiérarchie de son
essentiel et de son important", "changer son rapport aux autres", au final "révolutionner le logiciel libéral et capitaliste" qui régit le monde, notre rapport au monde, notre existence dans
le monde. Cet archipel d'exhortations peut-il coaguler, composer une force unitaire, et porter concrètement un aggiornamento aussi ambitieux et disruptif ? Surtout pourra-t-il
contenir le rouleau-compresseur marchand de nouveau lorsque germera la sortie de crise ?
Il est trop tôt pour mesurer l'ampleur des dégâts économiques, financiers, sociaux sur la planète, il est donc trop tôt pour estimer comment et dans quelle direction les principaux "dirigeants"
de ce système - politiques, banques privées et banques centrales, organisations de gouvernance internationale, etc. - voudront et pourront le faire évoluer. Mais pour l'heure, là encore le
pessimisme n'est pas de mise. Ne l'oublions pas : de tous les systèmes économiques qui ont régi le monde, le capitalisme - et son levier : l'économie de marché - est celui qui s'est
toujours le mieux adapté.
Ce qui est assez prévisible est que l'Etat - avec certainement le soutien de grandes entreprises - devra investir fortement dans le secteur de la santé, aux plans de l'emploi comme des
équipements. La question d'une relocalisation, au moins partielle, de la fabrication de médicaments et d'équipements sera aussi posée. L'affaire des "masques" laissera des traces.
Ce retour possible à une forme de keynésianisme permettra aussi, je l'espère, d'invertir dans la transition écologique (par exemple sur l'habitat, aux fins d'améliorer la performance énergétique
et de favoriser l'emploi auprès d'utilisateurs de plus en plus âgés. Ces actions, en plus, pourraient offrir des débouchés autant à des fleurons français de l'industrie qu'à des artisans et des
PME.
Il est donc "trop tôt", mais ne peut-on pas d'ores et déjà pronostiquer que la conscientisation écologique pourrait s'enraciner plus profondément et plus durablement, jusqu'à peser de
manière substantielle et... durable sur les futurs rapports de force économiques, financiers et politiques ?
Cette direction devra faire la preuve que les intérêts économiques et financiers, pierre angulaire du système capitaliste, ne sont pas affaiblis par l'intérêt sociétal, environnemental, social,
tout simplement humaniste auquel notre renaissance, demain, aspirera plus que jamais. Peut-on inventer une « économie sociale et responsable de marché » ?
Dans une (très belle) tribune publiée dans Libération (20 mars) et titrée "Coronavirus : le soin n'est pas la guerre", Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale à
l'Université Sorbonne - Paris Nord, fustige le diktat des chiffres - "n'en déplaise à la technocratie, ils ne nous parlent pas, au mieux ils nous effraient, nous risquons de leur être plus que
jamais arraisonnés quand, pour nous sentir concernés et grandir en responsabilité, nous aurions besoin de récits qui nous ramènent à la vie" - pour mieux mettre en lumière "l'inestimable"
travail des soignants, "au sens où n'étant pas inscrit dans la performance technique ou la compétitivité, il ne se mesure pas, en même temps qu'il est ce qui compte le plus". L'épreuve que nous
traversons met en lumière la valeur des taches non chiffrables, non marchandes, pourtant les plus essentielles, les plus contributives aux besoins d'humanité et donc à l'Humanité elle-même. Que
peut-il rester de cette prise de conscience collective ? Peut-il nous aider, collectivement, à redéfinir ce « fait bien commun » ?
C'est le pari de Pascal ! Tentons-le. Le virus, comme le réchauffement climatique, crée du commun au sens où chacun, quelle que soit sa position sociale, peut être touché. Même si les plus riches
s'en sortent bien mieux que les autres. Toute l'histoire des épidémies a montré que les dégâts (parfois avec plus de 50% de mortalité) étaient très largement centrés sur les plus fragiles. Par
ailleurs, si 80% de la population se sent confinée, et, après un moment de flottement, concernée par le virus, il demeure des minorités qui ne partagent toujours pas ce souci du commun. Mais, il
est possible, comme le montrent les applaudissements quotidiens à 20 heures pour les "héros du soin", qu'une prise de conscience prenne forme. "Il arrive que les décors s'écroulent", écrivait
Camus.
Gageons et espérons que le diktat du moindre coût, qui a régi jusqu'à présent les flux de la mondialisation et la cartographie des sites de productions, ne sera plus hégémonique
L'organisation et le fonctionnement - ou plutôt le déficit d'organisation et les dysfonctionnements - de la mondialisation sont dès maintenant sur le gril. La "démondialisation", ou plus
précisément les contours d'une "autre" mondialisation, sont en débat. Focalisons-nous sur deux chapitres : la proximité et les frontières. Demain pourrait-il être vraiment différent
d'aujourd'hui ?
De découvrir l'impressionnante dépendance de la France envers la Chine en matière de production de médicaments a constitué un véritable électrochoc. Comment l'un des bastions mondiaux de la
recherche dans l'ensemble des sciences médicales a-t-il pu ainsi se laisser menotter à une industrie située à l'autre bout du globe et elle-même si vulnérable ? Le diktat du moindre coût,
qui a régi jusqu'à présent les flux de la mondialisation et la cartographie des sites de productions, ne devrait plus être hégémonique. La démondialisation avait déjà commencé, on peut espérer
que la crise actuelle va l'accélérer.
Sans doute en effet allons-nous plébisciter les circuits courts, les logiques de proximité, y compris à l'égard des commerçants ; les boulangeries, les petits supermarchés, les regroupements
de producteurs "bio" soutiennent aujourd'hui notre besoin de consommation ; nul doute que nous saurons nous en souvenir plus tard, et que ce réflexe servira les autres types de commerces de
quartier.
Quant à la relation au territoire, nous (re)découvrons que le centre névralgique de notre existence quotidienne est la commune. Là est concentré notre lieu de vie. Et nous devons protéger notre
périmètre de bien-être où nous nous sentons en sécurité. La problématique des frontières va être questionnée par beaucoup. Après tout, nous fermons bien notre maison à clé ; pourquoi ne
ferions-nous pas de même à nos frontières lorsque le danger point ?
Faut-il rappeler que cette même logique du "bien-être entre nous", du "bien-être confiné", du "bien-être protégé", charpente les thèses xénophobes, europhobes, sécessionnistes,
nationalistes, qui font le succès du RN en France, de l'AfD en Allemagne, de Vox en Espagne, de la Ligue en Italie, du Fidesz en Hongrie, du FPO en Autriche ? Et ailleurs en Europe ?
Marine Le Pen s'est saisie de "l'heureuse opportunité" du Covid-19 pour scander les "vertus" de la fermeture des frontières... Une digue, une clôture, un verrou si lourds de symboles
idéologiques...
Je ne nie pas ce spectre. Mais la présence et le fonctionnement de frontières ne doivent pas signifier de facto le refus de l'autre. Tout dépend du sens que l'on place dans l'édification
desdites frontières, et pour cela des conditions de passage d'une frontière à l'autre.
Pourquoi ne considérerait-on pas que se sentir "bien chez soi" permet de mieux accepter l'accueil des autres, à des conditions connues de tous et qui sont respectueuses des principes humains
élémentaires ? N'est-ce pas d'avoir nié cette réalité, n'est-ce pas d'avoir négligé ou même méprisé le besoin des individus de maîtriser leur périmètre d'existence, qui a répandu la peur et
donc le rejet des "autres" ?
Deux de vos domaines spécifiques de recherche sont les relations intergénérationnelles et la santé. La situation des aînés, auxquels tout contact avec leurs enfants et petits-enfants a
été décrété avant le confinement, est particulièrement aiguë. Au-delà, quelles conséquences sociologiques cette rupture de lien fait-elle peser ?
Au sujet du "bien vieillir", la qualité, la régularité, la douceur du "lien" humain contribuent de manière capitale. L'être humain est un être humain social, et le priver brutalement de lien est
insupportable. Les aînés, déjà dans la souffrance - physique, psychique, liée à leur déclin ou à leur solitude -, sont les premières victimes, et cela pas seulement parce qu'ils sont les plus
exposés à la mort.
Peut-on imaginer ce qu'ils éprouvent, au fond d'eux-mêmes, conscients qu'ils ne reverront peut-être plus leurs proches ? Ce qu'ils ressentent aussi parce que l'implication des aides,
accompagnants, bénévoles qui leur apportent un peu d'humanité, elle aussi se raréfie ?
La situation que nous traversons aura eu toutefois un mérite : celui, comme ce fut le cas lors de la canicule de 2003 qui les avait décimés, de nous inviter à leur porter attention et
compassion. Peut-être, au moins le temps de cette tragédie, aurons-nous un peu plus de considération pour eux, et aussi nous estimerons-nous un peu plus responsables à leur égard.
D'ailleurs, nombre d'initiatives "technologiques" (Skype, téléphone Face time, internet) sont mobilisées pour maintenir un lien entre les générations.
Au Royaume-Uni notamment, comme peut le laisser penser la stratégie adoptée au début par le Premier ministre Boris Johnson, mais aussi dans le débat public, des voix se sont entendre pour
légitimer le principe de "sélection naturelle" - un détournement du darwinisme -, qui serait à mettre en perspective du développement exponentiel de la démographie mondiale. Et de convoquer
l'histoire, rythmée par des pandémies qui ont régulé "naturellement" les populations. Est-ce audible ? Un tel débat est-il éthiquement tolérable ?
Vous évoquez Darwin, j'ai retrouvé très récemment dans un ouvrage d'entretien que vous avez réalisé avec le paléoanthropologue Pascal Picq [Une époque formidable, 2019, L'Aube], le
principe de "descendance avec modification", plus riche que cette notion de "sélection"... Démographes, économistes, sociologues, scientifiques sont questionnés. Il y a une trentaine d'années,
les plus de 75 ans étaient quasi absents de l'espace et donc du débat publics, quasi absents aussi des enjeux sociétaux et économiques. Or aujourd'hui, ils sont 6 millions en France, et
cristallisent nombre d'enjeux majeurs : tourisme, consommation, santé... En 2021, les premiers "babyboomers" rejoindront cette classe d'âge, qu'on estime au-delà des 12 millions d'âmes en
2060.
Voilà pour le "petit prisme" des "aînés français" ; mais que dire de la démographie planétaire dans son exhaustivité ? Jusqu'où va-t-elle poursuivre son essor ? Entretenir la nécessité
productiviste ? Consommer les ressources naturelles ? Même de l'ordre du symbole, d'aucuns regardent le virus Covid-19 s'étendre tel une revanche de la nature sur une espèce humaine qui
l'asservit sans retenue, l'exploite sans considération, la maltraite éhontément.
Une revanche, mais aussi un rappel à l'ordre à l'égard des scientistes, prométhéens et autres transhumanistes que l'arrogance et la vanité rend assoiffés de ne pas vieillir, et même de ne pas
mourir. Donc oui, ce débat est extrêmement sensible, il convoque des opinions antagonistes, il est éthiquement très délicat, mais il mérite de ne pas être esquivé.
Le modèle social à reconstruire devra être repensé avec les Français, et non plus pour les Français, il devra avoir pour substrat : "Français, je
vous fais confiance"
Chaque jour davantage le terme refait surface - y compris lorsqu'est évoqué, jusque dans l'Allemagne d'Angela Merkel, le recours aux nationalisations d'entreprises stratégiques qui
vacillent -, Emmanuel Macron lui-même y a fait référence : l'heure est au retour de l'Etat-providence. Mais sous quelle forme est-il possible de ou faut-il le réinitialiser ? Les
Français d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes qu'hier, leurs aspirations, leurs dispositions, leurs facultés - par exemple d'autonomie - diffèrent, la société a évolué parallèlement aux
bouleversements technologiques, communicationnels, spatiaux, temporels, et donc au déclin progressif de l'Etat-providence ; si cette dernière ressuscite, elle devra s'ajuster aux
comportements, aux raisonnements, aux exigences nouveaux...
D'écouter, de la bouche d'un chef de l'Etat en tous points hostile à l'Etat-providence, l'absolue nécessité de le relancer... quelle rupture idéologique en effet ! Reste toutefois des
limites à cette régénérescence, qui d'ailleurs font la distinction d'avec les périodes de prospérité : le niveau de la dette publique. Elle était déjà colossale, elle deviendra abyssale.
Sans doute l'Etat devra-t-il se concentrer sur une poignée de disciplines régaliennes : la santé, la sécurité, l'éducation, l'économie, la justice...
Le modèle social à reconstruire devra composer avec cette réalité, avec aussi celle à laquelle vous faites référence : les volontés et les besoins des Français. En d'autres termes, ce modèle
social devra être repensé avec les Français, et non plus pour les Français, il devra avoir pour substrat : "Français, je vous fais confiance". Ce qui imposera de
décentraliser, de solliciter de nouveau - enfin ?! - les corps intermédiaires. De voir aussi comment chacun d'entre nous peut contribuer à ce modèle renouvelé...
... et sans doute aussi de réinventer l'architecture de la démocratie. Laquelle devra intégrer l'aspiration et la capacité citoyennes à « agir
en responsabilité »...
C'est indéniable. L'initiative du chef de l'Etat, de la Convention citoyenne pour le climat à laquelle participent 150 Français - nécessairement en sommeil aujourd'hui - va dans ce sens. Les
réflexions devront tenir compte des contributions, déterminantes, issues des territoires et en premier lieu des communes, elles devront faire la part belle non pas à la démocratie participative
mais à une démocratie représentative intégrant les dispositions des citoyens à exercer des tâches en responsabilité.
Le chef de l'Etat l'a affirmé lors de son allocution du 16 mars annonçant le confinement. "Lorsque nous serons sortis vainqueurs [de la guerre contre le coronavirus], le jour d'après ce
ne sera pas un retour aux jours d'avant" (...). "Cette période nous aura beaucoup appris. Beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées, (...). Nous aurons appris et je saurai aussi avec
vous en tirer toutes les conséquences (...). Hissons-nous individuellement et collectivement à la hauteur du moment". En résumé, comment imaginez-vous et comment espérez-vous que prenne forme ce
"jour d'après" ?
Un mot surgit spontanément, qui résume mon vœu : humilité. Oui, cette épreuve est une exhortation à être humble, elle est un appel à "nous" considérer avec immense modestie. La planète est
déstabilisée, ébranlée, dévastée par un "simple" virus, ce qui doit nous rappeler à notre juste taille, à notre juste puissance, à notre juste pouvoir : peu. Ce qui, aussi, doit nous obliger
à regarder la Terre non plus comme un simple espace d'exploitation et de consommation, mais comme notre mère et notre patrie commune.
Serge Guérin est directeur du MSc "Directeur des établissements de santé", à l'Inseec Paris. Derniers livres parus : Les Quincados (Calmann-Lévy, 2019), et Médecines complémentaires
et alternatives. Pour et Contre ? (Michalon, 2019).
N.B du PRé : Serge Guérin est membre du conseil scientifique du PRé
Philippe Raynaud :
« L’affaire Benalla n’est pas une affaire d’Etat »
Parce qu’il n’y a pas eu intention de l’Etat de
commettre un acte délictieux, il n’y a pas d’affaire d’Etat, explique dans une tribune au « Monde », le philosophe Philippe Raynaud qui estime que les partis d’opposition polémiquent
avec d’autant plus d’acharnement qu’ils n’ont toujours pas digéré le résultat de l’élection présidentielle.
LE MONDE | 28.07.2018 | Propos recueillis par Nicolas
Truong
Le 12 avril, Emmanuel Macron et Alexandre Benalla. CHARLY TRIBALLEAU / AFP
Entretien.Professeur de science politique à l’université Paris
II-Panthéon-Assas [où il enseigne la philosophie politique], Philippe Raynaud a publié de nombreux ouvrages, dont L’Esprit de la Ve République (Perrin, 2017) et
Emmanuel Macron : une révolution bien tempérée (Desclée de Brouwer, 200 pages, 17 euros). [Membre du comité de rédaction de la revue Commentaire et lauréat du prix Alexis de
Tocqueville en 2014], il explique pourquoi l’affaire Benalla n’est pas, selon lui, une affaire d’Etat.
L’affaire Benalla est-elle une affaire
d’Etat ?
Une affaire d’Etat est une affaire lors de laquelle
les plus hautes autorités sont accusées d’avoir autorisé des actes considérés comme illégaux, en général au nom de la raison d’Etat, qui, elle-même, peut-être interprétée de façon plus au moins
extensive. Dans l’affaire du Rainbow-Warrior, par exemple, le ministre de la défense, Charles Hernu, avait ordonné, avec l’autorisation de François Mitterrand, le coulage du navire de
l’organisation écologiste Greenpeace par les services secrets français, le 10 juillet 1985. On peut aussi ajouter les écoutes téléphoniques ordonnées par François Mitterrand. Or, ce n’est
pas du tout le cas avec l’affaire Benalla, lors de laquelle un chargé de mission a fait une faute regrettable, certes, mais aucunement commanditée par l’Elysée. Même s’il a été autorisé à
assister à la manifestation du 1er-Mai avec les forces de l’ordre, aucun responsable de l’Etat ne lui a demandé de jouer à Rambo place de la Contrescarpe, à Paris. Il s’agit d’une
crise politique qui devient une « affaire d’Etat » si l’on entend par là que le sommet de l’Etat est touché, mais elle n’est aucunement comparable avec le Watergate, comme le dit
Jean-Luc Mélenchon, qui serait bien avisé d’être aussi soucieux des abus de pouvoir au Venezuela.
Emmanuel Macron se présentait comme le héros du
nouveau monde, et l’on découvre la perpétuation de vieilles pratiques bien connues de la Ve République…
C’est certain. Le problème de la
Ve République, c’est qu’elle confère un pouvoir considérable au chef de l’Etat qui n’a presque aucun compte à rendre. Sous la Ve République, un président peut
déclarer qu’il est responsable, alors qu’il ne l’est pas juridiquement, puisqu’il est protégé par son immunité.
Ce scandale aurait-il les mêmes conséquences
politiques à l’étranger ?
En Angleterre, par exemple, le ministre de l’intérieur
aurait sans doute démissionné et serait retourné dans sa circonscription pour se faire réélire ou bien se faire battre. Alors qu’en France personne ne démissionne tant qu’il n’y a pas de pression
pénale ou de mise en cause de la moralité. C’est la jurisprudence Balladur : les ministres ne démissionnent que lorsqu’ils sont mis en examen. En Grande-Bretagne, c’est le fait d’être
politiquement responsable qui vous permet d’avoir du pouvoir. Et on peut démissionner plus facilement. La France est bien loin d’une telle pratique politique.
Dans quelle mesure Emmanuel Macron a-t-il
failli ?
On peut toujours discuter de savoir si la sanction est
suffisante et on peut estimer que la stratégie de communication d’Emmanuel Macron s’appuie trop sur la situation privilégiée du président, alors que c’est précisément celle-ci qui est en question
aux yeux des Français. Je trouve qu’on n’a pas assez relevé la seule véritable nouveauté de cette séquence : le fait que le président Macron n’ait pas cédé à la facilité du fusible. C’est
absolument inhabituel, voire inédit sous la Ve République, où l’on lâchait un conseiller ou un ministre à chaque coup dur.
S’agit-il d’une affaire politique ?
Je ne peux m’empêcher de penser que tout cela est
arrivé alors qu’Emmanuel Macron avait une chance insolente. Tout lui souriait, et c’était sans doute insupportable pour beaucoup. A gauche comme à droite, les partis n’avaient pas digéré
l’élection présidentielle. D’où la sainte-alliance de Jean-Luc Mélenchon avec Marine Le Pen, d’Olivier Faure avec Eric Ciotti pour atteindre le président. La partie la plus politisée de la droite
considère qu’elle s’est fait voler l’élection en raison de l’affaire Fillon. Les « insoumis » se croyaient au second tour, rêvaient même d’imposer une cohabitation à Macron et se sont
retrouvés loin derrière aux législatives, sans même pouvoir incarner le mouvement social, profondément divisé. Le PS a été laminé. Quant au Front national, il s’est ridiculisé pour longtemps dans
le débat de l’entre-deux-tours.
La réaction d’Emmanuel Macron à l’égard des médias
est-elle justifiée ?
Elle s’inscrit dans la cote bonapartisme soft de la
présidence Macron. Le président est plus sensible à la gêne que représente la presse pour l’action qu’à sa contribution à la délibération politique. Cette attitude peut être rapprochée à son goût
mesuré pour la délibération parlementaire. Comme dit Kant, « la colombe légère lorsque, dans son libre vol, elle fend l’air dont elle sent la résistance, pourrait se représenter qu’elle
réussirait encore bien mieux dans l’espace vide d’air ». Et Emmanuel Macron peut faire penser, sur ce point, à Napoléon III, qui considérait que les journalistes étaient moins légitimes que
les élus politiques. « Mais qui êtes-vous les journalistes ? Vous n’exprimez que des intérêts particuliers. Moi, je représente l’intérêt général, car j’ai été élu par le peuple !
Vous, vous ne représentez que vos lecteurs », disait-il. Ou encore : « Qu’est-ce qu’un journal ? Ce n’est que l’alliance d’un capital et d’un talent, alors que je suis
l’expression autorisée de l’intérêt général et de la volonté générale. »
Les journaux en général, et « Le Monde »
en particulier, en font-ils trop ?
La dramatisation médiatique est excessive, et le ton
inimitable de componction, de sérieux et de moralisme du Monde donne à cette affaire un goût de moraline, comme dirait Nietzsche. D’ailleurs la convergence éditoriale momentanée avec la
rédaction du Figaro est assez symptomatique de
cette « convergence des luttes » contre un
président élu par une extraordinaire combinaison de chance et de talent qui dérange tout le monde.
Si l’affaire Benalla n’est pas une affaire d’Etat
au sens strict, ne témoigne-t-elle pas d’une intolérance accrue envers les abus de pouvoir ?
Il est indubitable que l’opinion ne supporte plus les
passe-droits, les abus de pouvoir ou le fait du prince. Dans L’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville montre bien que c’est lorsque les privilèges sont affaiblis qu’ils
deviennent illégitimes. Les Français ne tolèrent plus la société de cour et les privilèges de l’exécutif, comme les bourgeois révolutionnaires de 1789 n’acceptaient plus de céder leur place à un
noble qui passait avec son apparat sur un pont, même si la monarchie était déclinante.
Propos recueillis par Nicolas Truong
Sandra Laugier : “Pour Stanley Cavell, l’éthique est cette volonté d’aller toujours au-delà de soi-même ”
Le philosophe américain est mort le 19 juin 2018. Sandra Laugier, Professeure de philosophie de classe exceptionnelle à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne, évoque le parcours de ce
penseur inclassable, qu’elle a traduit (9 ouvrages) et contribué à faire connaître en France (Recommencer la philosophie. Stanley Cavell et la philosophie en Amérique, Vrin, Paris,
2014). Sandra Laugier est membre senior de l’institut Universitaire de France depuis 2012, chaire Ethique et pratiques de l’ordinaire (après avoir été membre junior de l’IUF de 1999 à
2004), directrice adjointe de l’UMR 8103 Institut des sciences juridique et
philosophique de la Sorbonne.
Comment avez-vous découvert Stanley Cavell ? Sandra Laugier : J’ai découvert Stanley Cavell quand j’étais étudiante à Harvard. J’ai commencé à suivre ses cours, en particulier un
sur le mélodrame hollywoodien, qui était extraordinaire. Puis j’ai ... [Lire la suite]
Tariq Krim :
« Il faut limiter certaines technologies avant qu'il ne soit trop tard »
L'entrepreneur théorise le « Slow Web » et lance Dissident.ai pour nous permettre
de reprendre le contrôle de notre vie numérique.
Entrepreneur en série (Netvibes et Jolicloud, notamment) et ancien vice-président du Conseil national du numérique, le
designer français Tariq Krim lance Dissident.ai, une plateforme qui veut permettre aux utilisateurs de reprendre le contrôle de leur vie numérique.
Le Point :Quelle position adopter
face aux géants d'Internet commeGoogle,Apple,Facebookou Amazon ?
Tariq Krim :Nous sommes dans une situation
paradoxale. Il y a 25 ans, il ne fallait surtout pas réguler, car il fallait empêcher les opérateurs téléphoniques de mettre la main sur le Net en créant des autoroutes de l'information.
Mais finalement l'absence de régulation a permis la création de géants du numérique bien plus puissants que les États. Limiter leur pouvoir sera très difficile, car il ne s'agit plus de régler
uniquement des questions fiscales ou concurrentielles. Les Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple) sont désormais des acteurs politiques à part entière.
Les technologies de manipulation comportementale couplées à l'intelligence artificielle (IA) ont le potentiel de détruire les
fondements de nos sociétés.
Que voulez-vous dire ?
Nous n'avons véritablement compris l'impact de leur influence que lors des récentes élections. Au-delà des fausses nouvelles
qui ont pollué toute tentative de débat démocratique, c'est le succès de l'utilisation de masse des technologies de changement comportemental qui devrait nous inquiéter.
De quoi s'agit-il ?
Nous entretenons une relation symbiotique avec nos applications, nous avons autant besoin d'elles qu'elles ont besoin de nos
données. Dès les années 1950, Norbert Wiener, le père de la cybernétique, qui a notamment introduit le concept de rétroaction pour permettre le contrôle à distance des machines, s'inquiétait déjà
dans son livre Cybernétique et société que l'inverse soit un jour possible : prendre le contrôle à distance des êtres humains grâce à la manipulation de leurs émotions. Tous les services
présents dans nos smartphones utilisent désormais ces techniques. La simplicité d'usage nous a rendus passifs et paresseux. Les likes et les shares sur les réseaux sociaux créent
plusieurs fois par jour des sentiments d'euphorie ou de dépression.
C'est un peu ce que faisait Cambridge Analytica ?
Absolument, l'usage des fausses nouvelles a été le moyen d'« activer » certains électeurs et de les rendre
imperméables au sens commun. Ce type de manipulation, théorisée par la doctrine Gerasimov, est désormais l'arme préférée des populistes. Car, contrairement à la télévision, on peut toucher
l'électeur directement sur son téléphone portable et au moment où il est le plus fragile psychologiquement. Ces technologies ont été inventées au départ pour la publicité : il ne s'agit plus de
vous montrer des choses qui vous intéressent, mais de modifier votre comportement pour que vous vous intéressiez à certaines choses. Appliquées au monde politique, elles deviennent un outil
redoutable.
Que peut-on faire ?
Aujourd'hui, l'opinion a les yeux rivés sur la question des données personnelles. Ce n'est plus suffisant. Les technologies
de manipulation comportementale couplées à l'intelligence artificielle (IA) ont le potentiel de détruire les fondements de nos sociétés. En fragmentant individuellement les opinions de chaque
citoyen, on transforme l'espace public et la parole politique en millions de petits espaces privés, par ailleurs invisibles pour le régulateur. Je pense qu'il faudrait limiter ce genre de
technologies avant qu'il ne soit trop tard.
La Silicon Valley considère désormais que la machine peut prendre de meilleures décisions que les êtres humains.
Vous parlez du « Slow Web » comme d'une alternative ?
Au départ, le Web était un outil de liberté et d'émancipation ; c'est devenu un espace confiné où nous sommes surveillés en
permanence. Entre l'utilisateur et le contenu qu'il consomme, des dizaines d'intermédiaires tentent d'influer sur ce que nous voulons voir, dire ou faire. Ces algorithmes ne sont pas magiques :
ils sont créés par des gens qui ont leur propre agenda. Il y a un vrai besoin de transparence. Nous sommes plusieurs à avoir fait la comparaison avec la nourriture. Dans les années 1970, nous
mangions des produits bourrés de produits chimiques ; aujourd'hui, il n'y a plus un supermarché qui ne propose pas du bio, car les mentalités et, surtout, l'information disponible pour le public
ont changé. Le Slow Web est l'équivalent du mouvement écogastronomique Slow Food pour la technologie : une alternative éthique de l'Internet.
Cela vous inspire, puisque vous lancez un nouveau projet qui s'inspire de cette
philosophie.
Depuis un an, je travaille à l'élaboration de Dissident.ai (www.dissident.ai), qui est une des premières plateformes de Slow
Web. Elle nous permet de reprendre le contrôle de nos contenus personnels et d'accéder à des sources d'information sans aucune altération algorithmique. Une forme de version « bio »
alternative à ce que proposent les grandes plateformes.
Vous avez fait vos études dans le domaine de l'intelligence artificielle. Que pensez-vous de son
développement actuel ?
Les questions restent les mêmes : que se passera-t-il quand le monde ne s'expliquera plus par la philosophie
mais par l'analyse des données par une machine ? Seuls deux acteurs sont réellement déterminés à y répondre : laChineet les Gafa. C'est fascinant de voir comment la même technologie est
mise au service de deux visions politiques totalement antagonistes. Pour la Chine, l'intelligence artificielle est le moyen de créer une société dont les ressources sont équitablement
redistribuées par la machine ; une nouvelle forme d'économie socialiste de marché optimisée en temps réel. Il s'agit aussi d'un monde dans lequel les citoyens sont constamment notés et surveillés
par la machine, pour le meilleur et pour le pire. Le professeur de droit Feng Xiang pense que cette forme d'organisation sociale est le seul rempart contre la création d'une oligarchie numérique
qui contrôlerait toutes les données, comme c'est déjà le cas auxÉtats-Unis. Le passage à l'intelligence artificielle oblige la Silicon Valley
à renier l'un de ses fondements idéologiques, à savoir l'idée que l'ordinateur est un outil d'émancipation individuelle. Elle considère désormais que la machine peut prendre de meilleures
décisions que les êtres humains. Il faut donc tout faire pour la renforcer, l'alimenter avec toujours plus d'informations en poussant notamment les gouvernements à ouvrir leurs bases de données
les plus précieuses. C'est une quête quasi religieuse. D'ailleurs, les Gafa sont les seules entreprises au monde persuadées que leur situation de monopole est bénéfique pour
l'humanité.
Entre ces deux visions, l'Europe a bien du mal à exister. La France a-t-elle encore sa place dans cette
bataille ?
Le rapport de Cédric Villani sur l'IA est un premier pas, mais le fait d'avoir déroulé le tapis rouge aux Gafa en plein
scandale Cambridge Analytica était une erreur. Ils étaient en terrain conquis. Pendant la remise du rapport, Yann LeCun, patron du pôle IA chez Facebook, s'est même permis de dire : « Ne
vous inquiétez pas, nous n'allons pas accaparer tous les chercheurs français. » En même temps, nous apprenions que la chaire d'intelligence artificielle de l'École polytechnique allait être
financée par Google. Cela donne l'impression que les impôts des Français servent à financer la recherche et développement (R&D) de grandes plateformes qui non seulement ne paient pas leurs
impôts en France, mais dont les services sont en train de radicaliser une partie de sa jeunesse et de la rendre totalement imperméable à la science et au sens civique. Ce n'est certainement pas
le retour sur investissement que sont en droit d'attendre les Français.
Comment voyez-vous la French tech actuelle ?
Aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'à de rares exceptions près l'ambition est surtout axée sur la création de champions locaux.
C'est peut être lié au fait que l'État est très présent dans l'écosystème des start-up et que les projets les plus risqués sont délocalisés. Il y a un autre point qui me dérange : c'est que cet
écosystème numérique actuel encourage une forme de reproduction des classes. Pendant que l'élite des étudiants crée ses start-up cools, les gamins des banlieues sont condamnés à faire de la
livraison en scooter. Pendant que nous célébrons la start-up nation, nous créons une génération pixel née pour nous servir à travers les écrans des smartphones. Que fait-on pour cette nouvelle
classe invisible ?
Que pensez-vous de la stratégie numérique du gouvernement ?
Sur le numérique, il faut totalement revoir la copie. Au lieu d'être fasciné par les États-Unis et leur donner les clés de
notre pays, on devrait s'appuyer sur les développeurs français, les fédérer, leur donner le pouvoir d'utiliser leur savoir-faire au service de l'État et les faire rayonner chez nous et au-delà de
nos frontières.
L'interview de notre ami Guillaume Vuilletet, Pt
d'honneur du PRé, Député, à propos de la laïcité, parue dans le magazine de la Licra, Droit de vivre, de mai 2018
Observateur des mouvements de jeunesse des années 1960, le sociologue explique que Mai 68 était une révolte libertaire différente de celle qui se joue aujourd’hui, où les mouvements
néoautoritaires tiennent le haut du pavé.
LE MONDE | 2018/05/16 07:15:22- mis à jour le 2018/05/19 10:33:09
Instaurée par la loi de transition énergétique d’août 2015, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) vise à définir une feuille de route plaçant le pays
sur la bonne trajectoire pour atteindre ses objectifs à long terme.
LE MONDE | 2018/05/13 17:15:25
L’Assemblée Nationale renforce sa fonction d’évaluation des politiques publiques
Le MONDE Politique
Le Monde.fr avec AFP | 17.04.2018
Un nouveau « temps fort » budgétaire au printemps permettra aux députés de mieux « contrôler le bon emploi des fonds publics et l’efficacité des politiques publiques ». L’AN va, dès ce printemps, expérimenter un changement dans le processus budgétaire. L’ambition est d’évaluer davantage l’usage des fonds publics et des politiques publiques, d’après une annonce du président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, et de plusieurs membres influents de la commission des finances, mardi 17 avril.
Eoliennes offshore : le gouvernement maintient la pression sur la filière
Le Monde Economie
LE MONDE | 16.04.2018 à 14h30 | Par Nabil Wakim
Pour forcer les opérateurs à diminuer le coût pour l’Etat des futurs parcs éoliens en mer, l’exécutif menace d’annuler les appels d’offres à l’été si aucun accord n’est trouvé.
Trois mois pour négocier. Après plusieurs mois de tergiversations, le gouvernement a finalement mis au point sa stratégie sur l’éolien en mer. « Une négociation va s’engager dans les prochains jours avec les lauréats pour faire baisser les coûts », explique-t-on au ministère de la transition écologique et solidaire. « Ce sera aux professionnels de faire des propositions », prévient-on. Mais si les coûts des projets restent élevés, le gouvernement menace d’annuler purement simplement les appels d’offres octroyés en 2012 et 2014 et d’en relancer de nouveaux sur les mêmes zones.
Elisabeth Badinter : « Il n’y a pas de féminisme sans laïcité »
LE MONDE | 12.04.2018 | Propos recueillis par Nicolas Truong
Dans un entretien au « Monde », la philosophe s’inquiète de l’offensive menée par les mouvements antiavortement au nom d’une idéologie qui défie la nature.
L’écrivain et philosophe Elisabeth Badinter, en 2006, à Paris. ERIC FEFERBERG/AFP
Une première historique entre la CPME et les syndicats
Pour la première fois dans l’histoire des relations sociales, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et les cinq
confédérations syndicales représentatives ont conclu un accord – même s’il ne s’agit pas juridiquement d’un accord national interprofessionnel (ANI) en bonne et due forme – sur la responsabilité
sociale et environnementale (RSE) des entreprises qui devrait être rendu public dans les prochaines semaines. Inédite, cette initiative avait été lancée par François Asselin, le président de la
CPME, qui, dans une lettre en date du 15 novembre 2016, avait proposé aux partenaires sociaux d’ouvrir « une concertation paritaire au niveau national interprofessionnel menant à une
délibération posant les bases et fixant les grands principes de ce qui favoriserait le déploiement de la RSE dans les TPE-PME ».
La CPME avait posé deux préalables à l’ouverture de cette concertation : « pas de nouvelles obligations pour les employeurs et respect
du principe d’une démarche volontaire ». Toutes les confédérations – CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO – ont répondu favorablement mais le Medef et l’U2P (artisans et professions
libérales) ont décliné l’invitation. La première réunion s’est tenue le 1er février 2017 et les travaux, pilotés par Guillaume de Bodard, président de la commission environnement et développement
durable de la CPME, ont abouti à un texte commun, en mars, qui marque le premier accord entre la CPME, qui négocie habituellement au niveau interprofessionnel dans la roue du Medef, et l’ensemble
des syndicats.
Le texte adopté a pour objet de renvoyer aux branches professionnelles, essentiellement sur la base du volontariat, l’ouverture de
négociations pour mettre en place, dans les entreprises de moins de 500 salariés la RSE. Il ne s’agit donc pas d’un ANI qui imposerait de telles négociations mais d’une incitation lancée
conjointement par l’organisation patronale et les cinq centrales, y compris la CGT. Cette initiative intervient alors que le gouvernement met la dernière main à son plan d’action pour la
croissance et la transformation des entreprises (PACTE) qui doit faire l’objet d’un prochain projet de loi. Il doit notamment s’appuyer sur la mission confiée à Nicole Notat, ancienne secrétaire
générale de la CFDT, et Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, sur « l’entreprise et l’intérêt général ».
Le document commun a été adressé au Medef et à l’U2P qui, pour l’heure, réservent leur réponse. Mais on relève à la CPME que Pierre Gattaz,
qui n’a pas caché ses réticences sur les préconisations de la mission Notat-Senard, a indiqué qu’il s’agissait d’une « bonneinitiative ». A noter que pour Force ouvrière,
c’est Pascal Pavageau, qui va succéder à la fin du mois à Jean-Claude Mailly à la tête de la centrale, et qui est réputé plus dur, qui a apposé sa signature au bas du texte.
MAI 68, RUPTURE HISTORIQUE ET INTIME
Marianne
Entretien, propos recueillis par Stépahne Dou et Hervé Nathan
30 mars-5 avril 2018
Le dernier livre de Benjamin Stora a pour titre "68, et après", celui de Jean-Pierre Le Goff aurait pu s'intituler "68, et avant". Dans les deux cas, la fièvre de mai y est analysée comme un événement politique total et collectif, en même temps qu'existentiel et intime.
Notre ami Benjamin Stora est membre du CS du PRé.
Pour gérer à bon escient les déchets de la ville de
Bamako, une ONG française, Énergic a approché, le mercredi 28 mars 2018, la Mairie du District de Bamako pour présenter son projet de recyclage et de transformation. La cérémonie de présentation
s’est déroulée dans la salle de conférence de la Mairie, en présence du personnel de la Mairie du District.
L’entassement des déchets et des ordures dans la ville
de Bamako est en passe de devenir triste souvenir.
Présentant le projet, Eric Chevaillier *, président de
‘’Énergic’’ a indiqué que le projet s’attaque à l’ensemble des déchets de la ville de Bamako. «Notre objectif est de nous occuper de 80% des déchets. L’équipe Energic travaille avec la commune
II, avec pour mission de donner de la valeur aux déchets qui s´entassent dans nos communes. Nous voulons créer à peu près 10 000 tonnes de compostes par an », a-t-il déclaré.
Armand Jost, président de la fondation ‘’R20’’,
partenaire de l’ONG Énergic, a précisé qu’ils ne sont pas venus pour vendre un produit mais pour aider chacune des communes de Bamako, commençant par la commune II. « Le déchet est de l’or et si
on peut sortir l’or du dur et on obtient vraiment de l’or dur et c’est ça pour moi, le message. Nous vous proposons ensemble avec les communautés politiques locales d’essayer de faire quelque
chose pour la ville de Bamako», a souligné Armand Jost.
Pour sa part, Adama Sangaré, maire du district, n’a
pas caché sa joie de trouver un partenaire pouvant transformer et valoriser les déchets de la ville de Bamako. Partant, il a expliqué la raison pour laquelle l’ONG Énergic a commencé par la
commune II. A l’en croire, Djeneba Keita, adjointe au Maire déléguée de l’hôtel de ville de Montreuil, était en contact avec les députés de la commune II, avec la municipalité de la commune II et
ils ont pensé à commencer quelque part.
Pour le maire, l’important n’est pas de commencer en
commune II, l’important est que le projet puisse démarrer. «Ils sont à Bamako car ils savent que ça nécessite l’implication de toutes les communes de Bamako c’est pour cette raison qu’ils ont
décidé de créer un partenariat avec le district pour la gestion des ordures. La commune II est un départ mais c’est ensemble des six communes de Bamako qui constituent réellement l’objectif.
»
B. SIDIBE
*Eric Chevaillier est au conseil des membres du PRé
MA COHERENCE, C'EST LE SOCIALISME LIBERTAIRE, entretien avec Benjamin Stora, historien, membre du conseil scientifique du PRé
Entretien dans l'Express.
28-02-2018
Benjamin Stora, président du conseil d'orientation du musée national de l'Histoire de l'immigration, évoque, dans "68, et après". Les héritages égarés, cinquante ans de combat politique. Entretien et extraits. Propos recueillis par Alexis Lacroix
Par Dominique Pialot | La Tribune, 07/02/2018
Au fil des années, de grandes entreprises ont joué les pionnières sur la voie de la RSE, mais les organisations patronales françaises se sont montrées globalement réticentes à toute évolution de la réglementation leur imposant de nouvelles contraintes. Dans un monde confronté à des contraintes environnementales et à une explosion sans précédent des fractures sociales, redéfinir le rôle de l'entreprise est un sujet qui couve depuis plusieurs années.
Jeuneafrique
02-02-2018
Si le Bénin fait figure de modèle démocratique, aux côtés par exemple du Sénégal, la faiblesse de ses partis le place cependant dans une situation paradoxale. Au point que l'on parle même d'« énigme politique ». C'est le constat que dresse Prudent Victor Topanou, ancien garde des Sceaux du Bénin.
Par Victor Prudent Topanou, professeur de sciences politiques à l’Université d'Abomey-Calavi, ancien ministre de la Justice et Garde des Sceaux du Bénin (2009-2011), membre de la commission chargée des réformes politiques et institutionnelles, mise en place par le président Patrice Talon en 2016.
Auteur, notamment, de "Boni Yayi ou le grand malentendu. Le quatrième président du renouveau démocratique béninois" (éditions L'Harmattan, sept 2012).
Membre du conseil scientifique du PRé.
LE PARISIEN
Politique|M.E.| 31 janvier 2018
A priori, tout les oppose. Le premier est libéral, proeuropéen ; le second, souverainiste. Et pourtant, Emmanuel Macron et Jean-Pierre Chevènement entretiennent une certaine complicité politique. Les deux hommes se parlent régulièrement.
Pour les membres de la nouvelle délégation aux
collectivités de l’Assemblée, le secteur privé n’a pas été assez impliqué dans les lois NOTRe et MAPTAM. Aussi, prônent-ils une responsabilité territoriale des entreprises.
Le programme était alléchant. Les députés de la toute
nouvelle délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée devaient, ce 30 janvier 2018, faire le point sur leur mission consacrée à « une nouvelle étape de la
décentralisation ». Mais le président de l’instance Arnaud Viala (LR, Aveyron) a vite douché les ardeurs.
« Une pause est nécessaire sur les compétences.
Nos travaux veulent s’affranchir des considérations institutionnelles », a-t-il prévenu. A ses côtés, les deux députés LREM Jean-François Césarini (Vaucluse) et Guillaume Vuilletet (Val-d’Oise) ont fait assaut de la même modestie.
Parlementaires de fraîche date, tous s’en sont tenus à
des constats. « En Occitanie, les métropoles de Montpellier et Toulouse captent les trois quarts de la TVA alors qu’elles ne représentent que 28 % », a lancé Guillaume Vuilletet, au
moment d’aborder la fracture territoriale. « Les start-ups se créent dans les petits villages et les petites villes. Et pourtant, la French Tech était uniquement centrée sur les
métropoles », a complété Jean-François Cesarini.
Un texte sur les territoires dans la deuxième
partie de la mandature ?
Pour les propositions précises, il faudra attendre fin
mai-début juin, soit la veille de la prochaine édition de la Conférence nationale des territoires. Une direction semble cependant se dessiner : une plus grande implication du secteur privé
dans l’écosystème local. Les députés de la mission évoquent, parmi leurs pistes, l’instauration d’une responsabilité territoriale des entreprises. Les créations des emplois en dehors des
métropoles pourraient ainsi être valorisées. Il en serait de même pour le télétravail à la campagne.
Egalement au menu : une réforme des pôles
d’équilibre territoriaux et ruraux. Il s’agirait de faire entrer les chambres de commerce et d’industrie ainsi que les pôles de compétitivité dans ces structures de gouvernance.
Par ailleurs, Jean-François Cesarini évoque un projet
de loi sur les fusions métropoles-départements. Un texte qui, selon lui, devrait être présenté dans les prochaines semaines. Lors d’une rencontre avec Emmanuel Macron, le 29 janvier 2018, le
député marcheur du Vaucluse a, enfin, défendu l’idée d’un projet de loi en faveur des territoires qui serait examiné durant la seconde partie de la mandature
« L’écologie est aussi un enjeu de la recomposition de la gouvernance mondiale »
Dans sa chronique, l’économiste Pierre-Yves Gomez estime que la contradiction entre l’engagement citoyen des entreprises et des financiers et leurs pratiques d’optimisation fiscale traduit peut-être moins une duplicité de leur part qu’un rapport de force assumé.
LE MONDE | 12.01.2018 à 14h00 | Par Pierre-Yves Gomez (Professeur à l'EM Lyon)
« l’enjeu est d’assujettir le droit commercial au droit environnemental et social »
Pour les signataires de cette tribune au « Monde », Laurent Berger, Philippe Frémeaux et Audrey Pulvar, les règles de l’OMC et les traités de libre-échange comme le CETA doivent intégrer les objectifs de l’accord de Paris contre le réchauffement.
LE MONDE ECONOMIE | 20.12.2017 | Par Laurent Berger (Secrétaire général de la CFDT), Philippe Frémeaux (Président de l’Institut Veblen) et Audrey Pulvar (Présidente de la Fondation pour la Nature et l'Homme)
« Les entreprises doivent aussi être comptables de leurs performances environnementales »
Dans une tribune au « Monde », l’avocat Jean-Philippe Robé estime que fixer aux entreprises un « objet social » ne suffit pas, ce sont les règles de la comptabilité qu’il faut changer.
LE MONDE | 20.12.2017 | Par Jean-Philippe Robé (Avocat, enseignant à l’école de droit de Sciences Po)
Du Maghreb au Pakistan, en passant par l’Arabie saoudite, les athées sont de plus en plus nombreux. Enquête sur cet athéisme qui dérange et effraie le monde musulman.
LE MONDE | 20.12.2017
L’écologie, solution miracle d’une gauche en recomposition ?
On ne compte plus aujourd’hui les professions de foi écologistes. A tel point qu’EELV se retrouve dépouillée de sa spécificité et voit son existence menacée
LE MONDE | 15.12.2017
L’agriculture biologique a de meilleures performances économiques que la conventionnelle
LE MONDE ECONOMIE | 06.12.2017 | Par Laurence Girard
Selon l’Insee, dans les trois secteurs d’activité étudiés, le vin, le maraîchage et la production laitière, les agriculteurs bio obtiennent de bons résultats.
L’agriculture verte n’a pas à rougir de ses performances économiques. Bien au contraire. L’étude intitulée « Les acteurs économiques et l’environnement », publiée mardi 5 décembre par l’Insee, montre, dans trois secteurs d’activité – le vin, le maraîchage et la production laitière –, que les agriculteurs bio dament le pion à leurs homologues tenants d’une agriculture conventionnelle sur le plan du résultat de leurs exploitations.
Fin de la COP 23 : la planète brûle, les diplomates tournent en rond
REPORTERRE
18-11-2017 / Marie Astier
La COP23 s’est achevé vendredi 17 novembre sur la déception. Déstabilités par le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, les États n’ont pratiquement pas avancé sur la mise en oeuvre de ce traité.
Val-d'Oise : deux députés ont poussé la porte de la prison Faits divers|Timothée Boutry| 07 novembre 2017
Le PARISIEN
Timothée Boutry| 07 novembre 2017
Surpopulation, radicalisation, dégradations : des parlementaires ont découvert lundi le quotidien de la maison d'arrêt d'Osny (Val-d'Oise).
La Confédération paysanne salue une politique agricole "extrêmement novatrice"
EUROPE 1
06h46, le 12 octobre 2017, modifié à 07h05, le 12 octobre 2017
Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, s'est dit satisfait jeudi, sur Europe 1, des annonces formulées mercredi par Emmanuel Macron lors des États généraux de l'alimentation.
INTERVIEW
LE MONDE Idées| 27.09.2017 Editorial.
Mardi à la Sorbonne, le chef de l’Etat a prononcé un discours ambitieux sur l’UE, en proposant à ses vingt-sept membres de nombreux projets.
le CETA est «un traité de libre échange au mauvais sens du terme»
LE PARISIEN Economie J.Cl.| 22 septembre 2017
Le ministre pour la Transition écologique, soumis à son obligation de réserve gouvernementale, a critiqué, à mots feutrés, le contenu du traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, entré en vigueur jeudi.
Le Ceta, traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, est entré en application jeudi, dans sa quasi-totalité. Au grand dam de ses détracteurs qui voient dans cet accord une fuite en avant irresponsable. Y compris le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, qui n’a pas dissimulé une forme de déception, ce vendredi matin, sur Europe 1.
Glyphosate : l’expertise européenne truffée de copiés-collés de documents de Monsanto
Pour dédouaner le pesticide, les experts ont largement plagié des documents de la Glyphosate Task Force, le consortium industriel conduit par la firme américaine.
LE MONDE | 16.09.2017 à 06h43 • Mis à jour le 25.09.2017 à 11h53 | Par Stéphane Foucart
Rarement expertise publique aura été aussi fragilisée que celle conduite par les instances européennes sur le glyphosate – l’herbicide controversé dont la Commission a proposé la réautorisation pour dix ans en Europe. Aux nombreuses accusations de collusion ou de complaisance, formulées ces derniers mois par les organisations non gouvernementales ou par des scientifiques indépendants, s’en ajoute une nouvelle, qui surpasse toutes les autres en gravité.
Présentation en conseil des ministres du projet de loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures
Published on Miércoles 6 Septembre 2017
Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire, a présenté aujourd’hui en conseil des ministres le projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement.
« La portée réactionnaire du discours de la race écrase le combat social »
LE MONDE Idées
24.06.2017
Dans une tribune au « Monde », l’historien et ancien préfet dénonce les propos de la porte-parole du Parti des indigènes de la République, Houria Bouteldja, qui maintiennent l’idée de domination et proposent de l’inverser, au lieu de la renverser.
LE MONDE | 24.06.2017
Vuilletet prend la 2e circonscription à Poniatowski (LR)
LE PARISIEN
Législatives 2017 : Vuilletet prend la 2e circonscription à Poniatowski (LR)
Elections législatives|Marie Persidat| 18 juin 2017
La vague La République en marche a eu raison du député-maire de L’Isle-Adam. Malgré son ancrage lcoal dans cette 2e circonscription du Val-d’Oise (Beaumont, Magny, Marines, Pontoise, Vallée du Sausseron, Vigny), Axel Poniatowski (LR) s’incline avec 49 % des suffrages contre 51 % pour Guillaume Vuilletet (REM).
2 solutions pour résoudre le dilemme du logement vécu par les apprentis
Blog Huffington Post
03/04/2017
Il n'y a aucune correspondance obligatoire entre le lieu d'apprentissage, l'entreprise d'accueil et le domicile d'origine des jeunes en formation.
Par Guillaume Vuilletet Consultant spécialisé dans les problématiques de l'habitat, ancien conseiller régional IDF
Et Didier Macioca Dirigeant d'une ESH (entreprise sociale pour l'habitat) ancien directeur d'une association d'insertion
Nicolas Hulot : « Je veux engager des réformes concertées mais irréversibles »
OUEST France
Modifié le 16/07/2017 à 19:53
Nucléaire, Notre-Dame-des-Landes… Dans cet entretien exclusif, le ministre fait un tour d’horizon des dossiers en cours. Il reconnaît que la tâche est rude et que beaucoup de temps a été perdu.
La dernière fois que nous l’avions interrogé, c’était il y a quelques mois, dans le joli jardin de sa maison de Saint-Lunaire, sur la côte d’Émeraude.
Perturbateurs endocriniens : le vote camouflet du Parlement européen
Perturbateurs endocriniens : le vote camouflet du Parlement européen
Les eurodéputés ont rejeté, mercredi, la proposition de réglementation de Bruxelles jugée beaucoup trop laxiste.
LE MONDE | 04.10.2017 à 16h40 • Mis à jour le 05.10.2017 à 06h41 | Par Stéphane Horel
C’est un énième camouflet pour la Commission européenne. Mercredi 4 octobre, le Parlement de Strasbourg a rejeté à la majorité absolue son projet de réglementation des perturbateurs endocriniens (PE).
Légumes gratuits et bio à prix coûtant ? Bienvenue à Châteaufort !
Légumes gratuits et bio à prix coûtant ? Bienvenue à Châteaufort !
Dans cette commune, le potager partagé et l'épicerie bio à prix coûtant nourrissent déjà 108 familles. Et ça ne fait que commencer ! Explications.
Par Axel Leclercq
En finir avec le procès en islamophobie
Par Patrick KESSEL, Président du Comité Laïcité République — 15 février 2016 à 17:11
Patrick Kessel en octobre 2015. AFP
Si le racisme antiarabe doit être combattu, les accusations systématiques d’islamophobie visent en revanche à discréditer l’idée que la laïcité s’applique à tous les cultes, à l’islam comme aux autres.
Tribune Pour faire de la France le pays leader du climat
Par Marie Toussaint, juriste, pour «Notre affaire à tous» — 3 novembre 2017 à 17:23 La moitié des eaux des bassins Rhône-Méditerranée et Corse sont en mauvais état écologique en raison de la pollution par les pesticides et de l'aménagement excessif des rivières (barrages, digues...), selon l'agence régionale de l'eau.
Une agriculture 100 % biologique pourrait nourrir la planète en 2050
Une agriculture 100 % biologique pourrait nourrir la planète en 2050
Selon une étude scientifique, le scénario est possible à condition de réduire le gaspillage alimentaire et de limiter la consommation de protéines animales
LE MONDE | 14.11.2017 à 18h51 • Mis à jour le 15.11.2017 à 10h52 | Par Audrey Garric
Une agriculture 100 % biologique pourrait nourrir la planète en 2050
Selon une étude scientifique, le scénario est possible à condition de réduire le gaspillage alimentaire et de limiter la consommation de protéines animales
LE MONDE | 14.11.2017 à 18h51 • Mis à jour le 15.11.2017 à 10h52 | Par Audrey Garric
Les bénéfices du bio pour la santé et pour l’environnement sont aujourd’hui prouvés. Mais pour ses contempteurs, ce type de production ne pourrait pas être généralisé, faute de rendements suffisants pour subvenir aux besoins d’une planète à la démographie galopante. Une idée répandue que réfutent des chercheurs européens dans une nouvelle étude publiée par la revue Nature Communications, mardi 14 novembre.
Alors que la course à l'élection présidentielle bat
son plein la stratégie du Front national de Marine Le Pen commence à se dessiner. Loin du mouvement qui se résume à la dé-diabolisation le FN parie désormais sur une ligne bien
différente.
Entretien avec Nathalie Krikorian-Duronsoy
Publié le 17 Février 2017
Atlantico : Alors que le Front national est
désormais entré en campagne, que peut on dire de la stratégie développée par le parti de Marine Le Pen en vue de l'élection présidentielle de 2017 ? Au regard du discours et des propositions,
quelle est la ligne dessinée par le parti ?
Nathalie Krikorian-Duronsoy: Depuis qu’elle a pris les commandes du Front National, Marine Le
Pen suit la même stratégie de conquête de l’opinion par la normalisation de son parti.
Poursuivant du reste l’oeuvre paternelle qui avait
consisté, au début des années 1970, à faire évoluer des idées contre-révolutionnaires, c’est à dire anti-parlementaires et anti-démocrates par la création d’un parti réformiste, le Front
National, présentant des candidats au Suffrage Universel.
Le travail de normalisation de Marine Le Pen dès 2000
a consisté à transformer le vieux FN en un parti moderne, rompant progressivement avec un extrêmisme auquel elle n’a du reste jamais adhéré.
Le but de créer un électorat stable, adhérant à ses
analyses autant qu’à ses propositions, s’est réalisé à travers deux objectifs : transformer, en partant du haut vers le bas, l’idéologie du FN et former des cadres et des candidats, en
particulier au moment des municipales de 2014.
Au plan électoral, force est de constater que Marine
Le Pen a rempli le contrat fixé. Son parti suit une progression constante et solide. En 2012 : 17,9% des voix à la Présidentielle contre 5,5% pour son père en 2002. En 2014 : 24,86% des voix aux
européennes, il devient le premier parti de France, passant de 3 à 20 députés et il gagne 14 villes aux municipales contre 3 en 1999. En 2015 : 28% aux régionales et 25, 14% aux
départementales.
Enfin aujourd’hui, Marine Le Pen arrive en tête des
intentions de vote au premier tour de la prochaine présidentielle avec 26%, devant Emmanuel Macron, 20,5% et François Fillon, 17,5%. Mais surtout, au regard des autres candidats, son électorat
est le plus motivé et le plus stable : 85% de ses électeurs se disent sûrs d’aller voter pour elle.
Mais on ne comprendra rien à la réussite de ce
parcours du combattant, qui a fait passer le FN de troisième force politique à première en à peine trois ans, si on ne perçoit pas le rôle joué par le labourage idéologique des consciences,
entrepris depuis bientôt 16 ans, qui a soulevé dans le pays un véritable mouvement en faveur du lepénisme.
Dans ce contexte, c’est surtout l’aveuglement, parfois
délibéré, de ses adversaires face à un changement en profondeur et non pas en surface des théories frontistes qui a permis leur progression au plan électoral. Ainsi, sur la question de
l’immigration que le Parti Socialiste instrumentalisait depuis les années 1980, via un antiracisme de combat privilégiant la morale au politique tout en se coupant des principes de la laïcité au
profit de ceux de la diversité, les analyses sociologiques du FN, dont il a tiré sa riposte idéologique, triomphent.
C’est autour de ses thèses, non pas tant « ethno-sociales » mais qui lient questions culturelles et économiques que s’organisent désormais le débat politique français.
Une réflexion idéologique en phase avec la réalité du pays a donc précédé la stratégie pour la candidature à la présidentielle de Marine Le Pen.
Elle a rompu, non par tactique mais par choix, avec les thèses extrémistes de son père, replaçant les idéaux républicains si bien analysés par Claude Nicolet, dans le giron du nationalisme
lepéniste. Faisant dès lors à nouveau coïncider Nation et République que l’Affaire Dreyfus avait désunis. C’est la congruence de ses deux idées qui a donné au FN sa force de persuasion auprès
d’une opinion publique désorientée par les effets destructeurs conjugués de la mondialisation sur l’économie nationale, et de la domination du discours relativiste sur les consciences populaires
qui l’ont rejeté.
Quelle est la stratégie mise en place par le FN pour parvenir à briser le "plafond de verre" auquel il a pu être confronté lors des dernières élections régionales ?
Si l’expression « plafond de verre » est utilisée pour transmettre l’idée qu’exprimait la notion de « Front républicain » inventée par le PS et la gauche afin de convaincre
leurs électeurs de voter Jacques Chirac, pour « barrer la route au FN » à la présidentielle de 2002, puis, afin d’empêcher des alliances de second tour au plan local, seuls les
résultats du second tour de la prochaine présidentielle nous en indiquerons l’épaisseur.
Plus que par la stratégie la force de la ligne mariniste réside dans sa cohérence intellectuelle face aux contradictions internes des discours de ces adversaires qui critiquent ses positions tout
en se ré-appropriant les thèmes de ses discours. J’ai été frappée par l’emploi désormais récurrent chez François Fillon, Emmanuel Macron ou Benoît Hamon, pour ne citer qu’eux, des mots :
« nation » « patrie » ou « patriote » bannis des discours des deux grands partis de gouvernement avant l’an 2000, et des mots « laïcité » et
« peuple » tombés en désuétude avant cette date. Emmanuel Macron, libéral en économie et multiculturaliste bon teint est devenu plus anti-UMPS que le FN, et sa critique du
«système » n’a d’égal que celle proférée autrefois par Le Pen père contre «l’establishment ». François Fillon a fait sienne la critique lepéniste du lien entre les dangers de
l’islamisme et les idéaux multiculturels de la gauche. Avec son projet de « revenu universel » Benoît Hamon tente de contrer le FN sur le terrain des idées, en particulier celle du
rôle de l’Etat Providence devenu propriété de Marine Le Pen qui veut le rendre au peuple depuis que la gauche de gouvernement est devenue capitaliste.
La force du FN c’est que c’est autour de ses théories que s’orientent désormais non seulement le débat public mais les discours et les choix politiques de ses adversaires en vue de la
présidentielle.
La désignation d'un ennemi a longtemps fait partie de la stratégie de campagne du FN, qui avait réussi un coup politique avec l'invention de l'UMPS. Cette stratégie peut-elle être poursuivie
aujourd'hui ?
L'affaissement des partis de gouvernement, peut-il être, paradoxalement, un handicap pour le Front national ?
L’invention d’un ennemi politique unique réunissant les deux grands partis de gouvernement UMP et PS, droite et gauche confondues, correspondait à la volonté politique de présenter le FN comme
une troisième voie, nationaliste et populiste, tout en faisant éclater la distinction droite gauche. Ce corollaire était notamment légitimé par le tournant économique libéral et donc « de
droite » du PS à l’époque mitterrandienne et l’adhésion de l’UMP, donc de la droite, aux thèses de l'antiracisme différentialiste de la gauche.
Comme je l’ai dit les cartes sont désormais rebattues et la dichotomie droite vs gauche est en plein décomposition. De plus l’affaire Fillon comme l’élection de Benoît Hamon contribuent à
complexifier les rapports de force sur le nouvel échiquier politique. Ils ont, semble-t’il pour l’instant, chacun à leur façon ruiné les chances des deux grands partis de gouvernement d’arriver
au second tour de la Présidentielle. Mais je ne crois que ce soit un réel handicap pour Marine Le Pen qui a déjà marqué sa rentrée politique à Lyon par un discours contrant ouvertement son
concurrent en populisme, Emmanuel Macron, dont les sondages prédisent qu’il serait son adversaire au second tour. En faisant de l’islamisme et du mondialisme les deux faces idéologiques d’un
unique ennemi de la souveraineté autant que de la liberté du peuple français, la présidente du FN a en effet posé les jalons de ses futures attaques contre les propositions libérales et
multiculturalistes du président En Marche.
Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies, membre du conseil scientifique du PRé.
La forêt amazonienne ne résistera pas à un réchauffement climatique important
LE MONDE |
C’est, au choix, une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la planète et pour l’humanité. Les optimistes retiendront que la forêt amazonienne est capable,
grâce à la très grande diversité de ses arbres, de s’adapter à un changement climatique de relativement faible amplitude. Les pessimistes noteront, eux, que cette forêt ne résisterait pas à une
forte hausse des températures. L’enjeu est crucial, en raison de l’importance de cet écosystème tropical humide qui, s’étendant sur plus de 6 millions de km2 répartis entre
neuf pays (Brésil, Pérou, Colombie, Bolivie, Venezuela, Guyana, Surinam, Equateur, Guyane
française), constitue la plus grande réserve mondiale d’espèces animales et végétales, en même temps qu’un gigantesque puits de carbone.
L’idée que la diversité d’un milieu naturel représente un atout qui lui permet de mieux faire face aux aléas est largement admise par les écologues. Pour la première fois, une équipe de chercheurs allemands et néerlandais l’a testée à grande
échelle, sur l’ensemble du bassin amazonien. Dans un article publié lundi 29 août dans
la revue Nature Climate Change, elle montre que la diversité de cette forêt favorise sa résilience au changement climatique. C’est-à-dire sa capacité à reconstituer sa matière végétale
(biomasse) et à continuer de
remplir des fonctions comme le
stockage de gaz carbonique. Du moins jusqu’à un certain seuil de réchauffement.
Exceptionnelle biodiversité
Boris Sakschewski, de l’Institut de recherche de Potsdam (Allemagne) sur les effets du changement climatique, et ses collègues ont fait fonctionner des modèles numériques, en
prenant en compte les « traits fonctionnels » des arbres : des caractéristiques telles que la hauteur des troncs, la densité du bois, la surface des feuilles ou la taille
des graines, qui assurent la dynamique d’un peuplement sylvestre et lui permettent de se régénérer plus ou moins efficacement.
Ils ont aussi retenu deux scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, sur les quatre étudiés par le
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Le premier, qui
mise sur une stabilisation des émissions avant la fin du siècle à un niveau bas, prévoit une hausse des températures comprise entre 1,1 et 2,6 °C à l’horizon 2100. Le second, dans lequel les
émissions continuent de croître
au rythme actuel, conduit à une montée du thermomètre pouvant atteindre 4,8 °C.
Il apparaît que dans la première hypothèse, celle du plafonnement de la courbe d’émissions et de
réchauffement, la plus grande partie du territoire boisé de l’Amazonie (84 %) parvient à se régénérer sur le long terme. Cette aptitude s’explique par son exceptionnelle biodiversité,
beaucoup plus riche que celle des forêts tempérées, avec pas moins de 16 000 espèces d’arbres répertoriées. Grâce à cette profusion, décrivent les chercheurs, la forêt tropicale humide
devrait s’adapter, au prix toutefois de changements de grande ampleur. Les grands arbres dominants actuels pourraient ainsi céder leur place à des essences de plus
petite taille, moins sensibles au stress hydrique.
Perte massive de superficie
En revanche, dans l’hypothèse d’une poursuite incontrôlée des émissions de gaz à effet de serre, entraînant
une atmosphère beaucoup plus chaude et des saisons sèches plus sévères, seule une infime portion (13 %) du bassin amazonien serait en mesure de se régénérer à longue échéance. Dans ce cas,
la biodiversité forestière ne fonctionne plus comme une « assurance contre les impacts du changement climatique ».
« Cette étude marque une avancée importante, car les climatologues se sont jusqu’à
présent fondés, pour anticiper la
réponse des forêts tropicales à l’effet de serre, sur des modèles qui ne prenaient pas en compte la biodiversité,commente Jérôme
Chave, directeur de recherche au laboratoire Evolution et diversité biologique de Toulouse (CNRS-Université Paul-Sabatier). Ce travail
montre que la diversité végétale de la forêt amazonienne peut avoir un effet tampon face au changement climatique. » Si du moins, ajoute-t-il, « cette forêt n’est pas affectée par d’autres
facteurs ».
Le dérèglement du climat n’est en effet ni la seule, ni même la première menace qui pèse sur cet irremplaçable couvert boisé. Celui-ci, mis à mal par une déforestation massive et par le
développement de la culture du soja et du palmier à huile, a déjà perdu, au cours du dernier demi-siècle, près du
cinquième de sa superficie.
La pression des activités humaines sur la planète
s’accentue dangereusement
LE MONDE |
Plus rapides, plus dévastateurs : les humains intensifient leurs pressions sur leur environnement, menaçant toujours davantage la diversité de la vie sur
Terre. C’est en substance ce que dit le travail d’une douzaine de
scientifiques de huit universités canadienne, australienne,
américaines et européennes, ainsi que de l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS). Publiées mardi 23 août dans la revue Nature
Communications, ces cartes livrent une mise à jour sévère des connaissances sur le sujet.
Les auteurs estiment que l’impact humain s’est accru de 9 % en seize ans. Intégrant à la fois des images satellites – de déforestation par exemple – et
des données recueillies sur place, l’indicateur de l’empreinte humaine qui leur sert de référence est passé de 5,67 en 1993 à 6,16 en 2019. Cet indice standardisé compile les mesures de
huit variables : artificialisation des sols, terres agricoles, pâturages, démographie, éclairage nocturne, chemins de fer, routes principales et voies navigables.
Cette étude n’apporte pas que de mauvaises surprises. Ainsi, dans certaines parties du monde, les pressions sur l’environnement ont ralenti d’au moins 20 %.
3 % des vastes écosystèmes pris en compte ici – soit 823 « écorégions » – sont dans ce cas de figure.
Mais cette embellie limitée est loin de compenser les 70 % qui voient au contraire le rythme
de leur empreinte humaine s’accélérer de plus de 20 %. Cette publication exclut les 27 % de la superficie du globe où l’empreinte humaine ne peut être évaluée, selon les
scientifiques.
Dans l’ensemble, sans compter l’Antarctique, les chercheurs considèrent que 9 % des habitats – soit 23 millions de kilomètres carrés – qui étaient à
l’abri des pressions humaines en 1993 ne le sont plus. Les derniers havres préservés sont à chercher dans les toundras et les déserts du Sahara, de Gobi
et d’Australie, ou dans les parties les plus
reculées des forêts de l’Amazonie et du bassin du Congo.
Les zones les plus rudement affectées apparaissent « terriblement vastes » et très dispersées : forêts tempérées d’Europe de l’ouest, de l’est des Etats-Unis et de la Chine, forêts tropicales d’Inde, du Brésil, de l’Asie du Sud-est.
« Nos cartes montrent que les trois quarts de la planète sont maintenant significativement altérés, et 97 % des endroits les plus
riches du point de vue de la biodiversité sont sérieusement touchés », constate James Watson, l’un des coauteurs de l’étude, de l’Université du Queensland.
La pression augmente moins vite que l’économie mondiale
Contrairement à ce que l’on pourrait craindre, les courbes ascendantes des atteintes à la
biodiversité – c’est-à-dire les menaces directes et indirectes qui pèsent sur les espèces animales et végétales et font disparaître leurs habitats – n’épousent pas
celles de la croissance économique.
Heureusement, car dans la période étudiée la population s’est élevée de 23 %, tandis que l’activité économique a grimpé de 153 %. Oscar Venter, de l’université Nothern
British Columbia, y voit un élément « encourageant » car « cela signifie que nous sommes devenus plus efficaces dans la façon dont nous utilisons les ressources
naturelles ».
Mesures de conservation
Le rythme des atteintes à la nature varie considérablement d’une partie du monde à l’autre. Les pays les plus prospères, où les taux d’urbanisation
sont les plus élevés, sont ceux qui ont le plus freiné le rythme, voire ont inversé la tendance. Certes, écrivent les chercheurs, les régions les plus développées avaient déjà considérablement
endommagé leur environnement en 1993. De plus, elles ont tendance à confier à d’autres pays la mission de produire pour leur compte de quoi les nourrir et de les fournir en
matières premières : ainsi
40 % des bœufs élevés dans le secteur de l’Amazonie sont exportés vers l’Union européenne.
Néanmoins, en s’appuyant sur les données du commerce international de bois et de denrées, il semble que cette tendance à la délégation n’explique pas tout. Les efforts pour
gérer
plus durablement les relations de l’homme à l’environnement, les mesures de conservation de la nature et la maîtrise des ravages de la corruption ont un véritable effet.
Redresser la barre est donc envisageable. Des améliorations notables pour les espèces vivantes se sont produites ces dernières années non seulement
dans les parcs naturels du Canada, mais aussi dans des
endroits où des mesures de protection ont été prises, dans des forêts tropicales de la péninsule de Malaisie et au Sri Lanka, dans les pinèdes de Belize…
Cependant, les endroits les plus riches en espèces variées sont ceux où l’empreinte humaine s’aggrave le plus. L’indice est particulièrement
inquiétant dans les pays à revenus bas et moyens. Leurs forêts sont les plus évidentes victimes. Dans les mangroves, les forêts tropicales d’Inde, du Brésil, d’Asie du Sud-est et même en Europe,
le scénario est toujours le même : les arbres cèdent la place aux cultures et aux pâtures.
Les chercheurs se déclarent « surpris » par l’exactitude de la corrélation entre la pression humaine globale et l’agriculture : celle-ci explique
l’essentiel de notre impact sur la Terre, car de plus en plus, la moindre parcelle, même très peu fertile, est exploitée. Voilà comment les humains s’en prennent irrémédiablement à leur
planète : ils la mangent.
Mort de Bertrand Schwartz, le « père » des missions locales
LE MONDE
Par Nicolas Scheffer
12.08.2016
« Cette fois, c’est juré, je prends ma retraite », disait-il en 1996, à l’âge de 77 ans. On lui répliquait « Vous ne pouvez pas dire ça, Bertrand. D’ailleurs, vous en êtes bien incapable. »
Jusqu’à ses derniers mois, Bertrand Schwartz, le « père » des missions locales, s’est voué à sa tâche, l’accompagnement des jeunes en difficulté d’intégration, jusqu’à son décès, le 30 juillet, à
l’âge de 97 ans.
Né en 1919, cousin germain de Michel Debré, le premier ministre du Général de Gaulle, son parcours est semé de mérites républicains. Il fait ses classes dans les meilleurs lycées parisiens,
Janson-de-Sailly, Saint-Louis, Louis-le-Grand. Polytechnicien, il intègre l’Ecole nationale supérieure de la métallurgie et de l’industrie des mines de Nancy comme professeur en 1948, avant d’en
prendre la direction de 1957 à 1966 et de réformer en profondeur l’enseignement.
Pendant tout le reste de sa carrière, le polytechnicien ne s’intéresse qu’aux « bac moins douze ». En 1981, Pierre Mauroy lui confie la rédaction d’un rapport qui fera date sur l’insertion
sociale et professionnelle des jeunes. Ses conclusions plaident pour une nouvelle approche de l’insertion fondée sur une vision globale. L’objectif des missions locales qu’il a inspirées entend
apporter aux 16-25 ans un accompagnement à la fois sur la formation, la recherche d’emploi, mais aussi la culture, la santé ou les loisirs.
Sa ligne de conduite : donner à chacun sa chance et considérer que ceux qui ne sont pas formés ne sont pas les moins intelligents. Le polytechnicien s’est battu pour que les exclus des schémas
sélectifs trouvent leur place. Sa méthode consistait à écouter pour élaborer un programme. Il laissait aux jeunes la parole libre sans intervenir dans les débats et valorisait toute connaissance
concrète menant, sans relâche, des expériences de pédagogie. Il pratiquait notamment la maïeutique, l’art de faire accoucher les esprits, chère à Socrate, posant plus de questions qu’il
n’apportait de réponse.
Tenace face aux institutions
«Il s’est toujours heurté avec ténacité aux institutions pour ne pas être enfermé, affirme Jean-Patrick Gille, député d’Indre-et-Loire et président de l’Institut Bertrand
Schwartz. Il avait une volonté farouche de faire avancer les choses. Il avait des intuitions profondes qu’il souhaitait mettre en œuvre. Il n’était pas contre l’administration, mais militait
pour qu’elle soit tournée vers l’action. » Infatigable poil à gratter, il militait auprès des cabinets ministériels pour l’insertion des jeunes. «Il surgissait avec
une note sur un projet et faisait le siège en attendant une réponse du ministre », confiait un conseiller de Martine Aubry en 1996.
Son acharnement n’a pas démérité. Aujourd’hui, ce sont 1,4 million de jeunes qui sont accompagnés chaque année au sein des missions locales. Bertrand Schwartz a reçu en 1989 le premier
Grawemeyer Award, prix international d’éducation, qui lui a permis de financer son association, Moderniser sans exclure, créée en 1992 qu’il a présidée pendant une dizaine d’années.
En 1994, il publiait un livre manifeste portant le nom de son association, où il rappelait les potentialités de développement des personnes sans qualification et l’importance de la confiance
en soi. « Sans être un gourou, il suscitait quelque chose qui redonnait de l’énergie, de la confiance, non pas en lui, mais en soi », se souvient Jean-Patrick Gille. Bertrand
Schwartz est fait grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction républicaine, en 2013.
François Mitterrand disait de lui qu’il fait partie de ceux qui, en 1981, lui ont «éclairé la route », avec Hubert Dubedout, maire (PS) de Grenoble (1965-1983),
« père » de la politique de la ville, et Gilbert Bonnemaison, à l’origine de la création des conseils de prévention de la délinquance. Au soir de sa vie, en 1994, le président
Mitterrand déclarait : «Ce sont des pionniers, ils ont tracé des voies ; encore faut-il que ces voies soient maintenant non seulement explorées, mais poursuivies et
élargies par leurs successeurs. »
Manger local : les amendements soutenus par la députée de l’Ariège Frédérique Massat* adoptés
06-07-2016
Dans le cadre de l’examen du projet de loi Egalité et Citoyenneté examiné la semaine dernière à l’Assemblée nationale, des élus socialistes et écologistes ont déposés des amendements visant à
rétablir les dispositions introduites par la proposition visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation de la députée Brigitte Allain.
Cette proposition de loi, examinée par la commission des affaires économiques, présidée à l’Assemblée nationale par Frédérique Massat, s’inscrivait dans la ligne d’un encouragement de
l’approvisionnement de la restauration collective en produits locaux.
Fruit d’un travail collectif entre les élus écologistes et socialistes à l’Assemblée nationale, le texte a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée mais vidé de sa substance à l’issue de son examen
au Sénat.
Afin que les mesures de la proposition de loi soient tout de même inscrites dans notre arsenal législatif, Frédérique Massat s’est associée à des collègues de la commission des affaires
économiques afin de déposer des amendements au texte Égalité et Citoyenneté.
Un premier amendement vise à réintroduire les dispositions relatives à l’approvisionnement de la restauration collective : 40% issus de l’alimentation durable et 20% issus de l’alimentation
biologique d’ici 2020.
Le second amendement concerne les mesures destinées aux grandes entreprises, qui devront intégrer, dans leur action de responsabilité sociale et environnementale (RSE), des exigences en matière
de consommation alimentaire durable.
Frédérique Massat se félicite que les amendements promouvant une production agricole de proximité, respectueuse des équilibres sociétaux, environnementaux et économiques aient été adoptés en
séance publique.
Le projet de loi Egalité et Citoyenneté doit maintenant être examiné au Sénat...
* Frédérique Massat est députée SER de la 1ère circonscription d'Ariège et présidente de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale.
Un avocat toulousain crée une plateforme pour des actions en justice collectives
L'avocat toulousain Christophe Lèguevaques * lance une une plateforme pour lancer des actions en justice collectives.
AFP
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Un avocat toulousain promeut une plateforme qu'il a créée dans le but de lancer des actions en justice collectives, avec pour première cible les banques et la façon dont certaines
calculent les taux des prêts immobiliers.
Son but, "faciliter l'accès aux actions collectives pour les particuliers et réduire le montant des honoraires d'avocats en mutualisant les dossiers", sur le
modèle des "class-actions" anglo-saxonnes, a résumé Me Lèguevaques en présentant lundi à Poitiers son nouvel outil.
Première cible en vue pour l'avocat et les confrères qui l'ont rejoint dans sa démarche : les banques qui pratiquent "l'année lombarde", une méthode de calcul des intérêts sur 360 jours
et non sur les 365 de l'année civile. "Un certain nombre d'établissements bancaires continuent à le faire de manière illégale et en toute connaissance de cause.
La jurisprudence en la matière est désormais très claire: c'est illégal. Nous estimons qu'il existerait plus d'un million de contrats litigieux, ce qui représente des dizaines de
millions d'euros perçus illégalement", explique Me Lèguevaques. Pour chaque client, le calcul à la lombarde se traduit par une différence de quelques euros, indolore à l'échelle
individuelle d'un prêt immobilier.
"C'est un peu comme ces industriels qui vous disent que la bouteille contient 100 centilitres d'huile alors qu'il n'y en a que 99. Les gens ne vont pas aller protester. Ils jouent
là-dessus. En plus, les gens ont souvent peur d'engager une procédure contre leur banque", poursuit-il.
La plateforme espère recueillir un millier de dossiers au cours de la première phase de souscription, prévue pour durer jusqu'à la mi-septembre. Lundi après-midi, elle en affichait une
soixantaine.
*Christophe Léguevaques est membre du Conseil scientifique du PRé
Les énergies vertes feraient gagner plus de 3 points de PIB à la France
LE MONDE | 30.06.2016
Par Pierre Le Hir
Un déploiement massif des énergies vertes en France aurait un impact positif sur la croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat des ménages.
C’est la conclusion d’une étude prospective de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), rendue publique jeudi 30 juin. En 2015, l’établissement public avait fait
sensation avec un rapport qui montrait qu’un mix électrique « 100 % renouvelable » en 2050 était possible dans l’Hexagone, pour un coût comparable à celui d’un bouquet conservant 50 % de
nucléaire.
Cette fois, l’Ademe s’est livrée à une évaluation macroéconomique d’un tel scénario. Celui-ci, précise-t-elle, s’inscrit dans la perspective d’une division par deux de la consommation énergétique
totale en 2050, telle que la prévoit la loi de transition énergétique, et nécessite donc de maîtriser la demande d’électricité. Il impose aussi une baisse continue du coût des filières
renouvelables. Il exige encore de développer des solutions d’adaptation de la demande (compteurs intelligents, etc.) et de stockage de ressources intermittentes.
Trois hypothèses ont été retenues : un mix 100 % renouvelable privilégiant l’éolien terrestre et en mer, un deuxième également 100 % renouvelable mais à « acceptabilité modérée » (ce qui
restreint l’éolien terrestre et le solaire au sol au profit du solaire en toiture et des énergies marines), le dernier avec seulement 80 % de renouvelable (le complément étant d’origine nucléaire
ou fossile).
Les résultats sont spectaculaires. A l’horizon 2050, le produit intérieur brut (PIB) de la France serait, selon l’hypothèse retenue, supérieur de 3,6 % à 3,9 % au niveau qu’il atteindrait en
l’absence de transition énergétique. Explication : les « effets récessifs » de cette transition (baisse d’activité liée à la moindre production d’énergie, hausse du coût de production de
l’électricité, augmentation de la fiscalité environnementale) sont plus que compensés par ses « effets expansionnistes » (hausse de l’emploi liée aux investissements dans les énergies
renouvelables et l’efficacité énergétique, baisse de la facture énergétique à moyen terme, diminution des importations de combustibles fossiles…).
L’étude anticipe de 830 000 à 900 000 emplois supplémentaires par rapport à un modèle énergétique inchangé. Les postes perdus dans les secteurs du nucléaire, de l’automobile et des ressources
fossiles sont, là encore, plus que regagnés par ceux créés dans les services, la construction et la production d’énergies renouvelables.
Autre indicateur au vert : le revenu disponible des ménages. Il est bonifié, pour l’ensemble de la population française, d’environ 250 milliards d’euros par an, soit approximativement 3 300 euros
par habitant. Cela en raison de la baisse de la facture énergétique des foyers (quasiment divisée par deux du fait d’une consommation réduite), en même temps que du regain d’activité économique.
« Investir pour le climat est aussi un moteur pour notre croissance », commente le président de l’Ademe, Bruno Léchevin. Cette mutation énergétique permettrait en effet de faire chuter les
émissions de CO2 de la France de 68 % à 72 % au milieu du siècle. Là encore, un vrai bénéfice.
L’ AGRONOMIE GRANDEUR NATURE
Le Centre d’études biologiques de Chizé*mène des travaux en plein champ à l’échelle du
paysage sur les interactions entre environnement et production agricole. Parmi ses conclusions : on peut augmenter le rendement des céréales avec moitié moins de pesticides et
d’azote
Ils étaient près de quatre-vingts à avoir fait le déplacement. Quatre-vingts agriculteurs – céréaliers, éleveurs, apiculteurs –
rassemblés, samedi 18 juin, au Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC, CNRS-université de La Rochelle), dans les Deux-Sèvres.
Ils étaient venus assister à la restitution annuelle des résultats du laboratoire. Silence attentif dans la salle de conférences de l’unité de
recherche, installée au cœur de la forêt de Chizé. Ecoute attentive mais aussi étonnée, car Vincent Bretagnolle (CNRS) présente cette année un résultat stupéfiant.
Le rendement économique des céréaliers peut être substantiellement augmenté – jusqu’à 200 euros par hectare de blé ! – en divisant par
deux la quantité d’herbicides et d’engrais azotés épandus. La première question qui vient à l’esprit est : en les remplaçant par quoi ? « En les remplaçant par rien du
tout », répond le chercheur.
Si les agriculteurs se déplacent chaque année aussi nombreux pour assister à la grand-messe du Centre d’études biologiques de Chizé, c’est aussi
qu’ils sont, en quelque sorte, coauteurs des résultats présentés. Sans eux, rien ou presque ne serait possible.
« La zone atelier Plaine et Val de Sèvre sur laquelle nous travaillons fait 450 kilomètres carrés, et recouvre plus de 400
exploitations agricoles, plus de 15 000 parcelles, explique Vincent Bretagnolle, le directeur de la zone atelier. Nous pouvons
ainsi faire de l’expérimentation à l’échelle d’un territoire, “manipuler” les paysages pour explorer les relations entre la biodiversité et les activités agricoles, mais nous
ne pouvons le faire qu’avec le concours des agriculteurs. »
Les mauvaises herbes aussi aiment l’azote
Cette participation à la recherche est enthousiaste et désintéressée. A chaque fois que les exploitants sont sollicités et qu’un surcroît de
travail leur est demandé pour apporter leur concours à une expérience, un dédommagement financier leur est proposé. Mais dans l’écrasante majorité des cas, ils le déclinent.
La zone atelier est un vaste damier sur lequel les chercheurs déplacent ainsi des pions : installer une prairie ici, retarder la fauche de
la luzerne là, épandre plus d’azote ici et moins d’herbicides ailleurs… Et voir comment environnement et production agricole coréagissent.
Le bric-à-brac du laboratoire, ce sont des sachets de thé enterrés, puis déterrés et pesés pour mesurer la capacité des sols à dégrader la
matière organique, des bocaux d’échantillons de retour du terrain, des pièges à insectes bricolés à partir de fond de bouteilles plastiques. THEOPHILE TROSSAT POUR "LE MONDE"
L’expérience phare présentée cette année, testant l’efficacité des herbicides et engrais azotés, est partie d’une idée simple. « Dans un
champ de blé, l’agriculteur a deux outils de pilotage principaux : les herbicides et l’azote. Il met de l’azote pour avoir plus de blé et des herbicides pour avoir moins d’adventices
[mauvaises herbes] », raconte le chercheur.
« Mais lorsqu’il met de l’azote,ajoute-t-il, les adventices l’utilisent
aussi. Notre idée a donc été de chercher à étudier la compétition qu’il pouvait y avoir entre le blé et les adventices. »
Dans une première étude, menée en 2007, 150 parcelles de trente exploitations de la zone atelier ont été enrôlées. L’échantillon balaie tout
le spectre des pratiques, depuis les plus gros utilisateurs d’herbicides et d’azote jusqu’à des agriculteurs bio n’utilisant ni l’un ni l’autre. Une première analyse corrélative, à paraître dans
une revue internationale, suggère qu’une réduction des herbicides ne semble pas avoir d’impact important sur les rendements.
Pour achever la démonstration, les chercheurs sont allés plus loin : ils ont demandé aux agriculteurs de diviser leurs parcelles en huit
sous-parcelles et de faire varier les paramètres : présence ou absence de culture, quantités variables d’azote et d’herbicides utilisés, etc.
Les résultats de ces travaux, en cours de finalisation, suggèrent qu’une réduction couplée d’azote et d’herbicides ne conduit à aucune baisse de
rendement. Et l’intégration de ces données dans des modèles économiques montre des gains économiques importants.
« Ce que l’on montre, grosso modo, c’est que les herbicides font baisser la diversité d’adventices en détruisant bien plus les espèces
rares que les espèces les plus communes qui portent, elles, préjudice aux cultures », explique Vincent Bretagnolle.
Pour la première fois en plein champ
Reste une question : pourquoi, si ces résultats sont valides, les agriculteurs persistent-ils à utiliser autant d’intrants ?
« En station, dans des conditions ultracontrôlées, les instituts techniques trouvent des résultats à l’opposé, constate en effet le chercheur. Mais ces conditions ne sont jamais
remplies en plein champ, en conditions réelles. C’est tout l’intérêt de travailler comme nous le faisons, à l’échelle du paysage, en tenant compte de toutes les diversités de comportements des
agriculteurs, des différents environnements, etc. »
Aussi incroyable que cela paraisse, de tels essais, grandeur nature, « n’avaient auparavant jamais été menés en plein champ »,
précise Vincent Bretagnolle.
En milieu contrôlé, les problèmes sont considérés et traités un par un, indépendamment les uns des autres. « Or les systèmes écologiques
sont des systèmes complexes. Si on prend l’exemple très simple d’une proie et de son prédateur étudiés en système clos, le résultat de toute expérience ou de toute modélisation est très
simple : l’un puis l’autre disparaissent, illustre le chercheur. Mais dès lors que ce système confiné est connecté à un autre système, la proie et le prédateur persistent. Et plus on
connecte les milieux, plus l’espace est continu, plus les résultats divergent de ce que l’on trouve dans un environnement clos et simplifié à l’excès. » Dans la vie réelle, la complexité
de l’écosystème s’impose.
Plus de pollinisateurs, plus d’oléagineux
La destruction – pour une grande part inutile – des adventices a-t-elle un effet direct sur d’autres compartiments de l’écosystème ? A
l’évidence. « Entre la floraison du colza et celle du tournesol, les abeilles et les pollinisateurs en général sont confrontés à une forme de disette, explique Clovis Toullet,
chercheur associé au dispositif Ecobee, mis en place par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et hébergé par la zone atelier. Au cours de cette période, ce sont précisément
les adventices qui permettent de nourrir les abeilles. »
Les cinquante ruches du dispositif sont placées aléatoirement dans la zone atelier et servent d’observatoire de la qualité de
l’environnement : les principaux paramètres de chaque colonie sont régulièrement mesurés – mortalité et démographie, taille du couvain, production de miel, présence de pathogènes
naturels, type de pollen rapporté. Ainsi, il a été possible de montrer que c’est une adventice (par ailleurs élégante), le coquelicot, qui fournit à certaines périodes de l’année jusqu’à
60 % de leur pitance aux ruches.
Eradiquer trop d’adventices, c’est donc affaiblir les colonies d’abeilles et les pollinisateurs sauvages. C’est, en conséquence, prendre le
risque de faire chuter les rendements des cultures de tournesol et de colza avoisinantes. C’est un des autres grands résultats obtenus à Chizé.
Mais l’expérimentation est délicate : il est impossible de manipuler finement la quantité d’abeilles ou de pollinisateurs – on en dénombre
près de 250 espèces sur la zone atelier – qui fréquentent un champ d’oléagineux.
Les chercheurs ont donc procédé autrement. Sans se laisser intimider par l’ampleur de ce travail de fourmi, ils ont arpenté des champs de colza
et de tournesol, et ont « ensaché », à la main, les fleurs de certaines parcelles avec des tulles aux mailles de tailles diverses. Certaines laissent passer les plus petits
pollinisateurs, mais arrêtent les plus gros comme les abeilles ou les bourdons. D’autres interdisent l’accès des fleurs à tous les insectes, ne laissant que le vent faire le travail de
pollinisation.
Résultat : confirmant des travaux précédents, publiés par d’autres équipes, les chercheurs du CEBC montrent que l’augmentation de
l’abondance de pollinisateurs peut augmenter les rendements du tournesol de 20 % environ. « Sur le colza, ajoute M. Bretagnolle, augmenter d’un facteur dix l’abondance de
pollinisateurs peut faire grimper le rendement de 34 %, ce qui est considérable. »
Réputés se contenter du vent pour leur pollinisation, les oléagineux bénéficient donc grandement des services rendus par les abeilles, bourdons
et autres papillons. Contrairement à une idée très ancrée, maraîchage et arboriculture ne sont pas les seuls à tirer parti de la pollinisation : certaines grandes cultures lui sont
redevables également.
Le bio bénéficie-t-il au conventionnel ?
D’où les bénéfices rendus par les zones ou les systèmes agricoles qui permettent aux pollinisateurs de s’alimenter et de survivre. Et en
particulier les prairies où la diversité florale est importante, ou encore les parcelles conduites en agriculture biologique. Mais là encore, la recherche à l’échelle du paysage complique
tout.
Les travaux menés sur la zone atelier ont ainsi montré que la diversité florale d’une parcelle dépend autant du mode d’agriculture pratiqué dans
la parcelle elle-même que des modes d’agriculture adjacents. « Typiquement, on trouve en moyenne une diversité d’espèces florales deux fois supérieure sur les parcelles conduites en
agriculture biologique, par rapport à ce que l’on trouve dans celles conduites en conventionnel, dit ainsi Sabrina Gaba, chercheuse au Laboratoire agroécologie de l’INRA, à Dijon, et qui
travaille sur la zone atelier. Mais nous avons montré que les effets du paysage comptent énormément : la diversité est augmentée dans les paysages riches en parcelles bio et cette plus
grande richesse est essentiellement le fait de la présence d’espèces rares, donc sans impact attendu sur la production agricole. »
Feuille de graines, placée dans une parcelle et relevée quelques jours après, le delta des graines manquante permet d'évaluer la présence de
prédateurs.
Forts de ce constat, les chercheurs vont tester une hypothèse : l’existence d’externalités positives de l’agriculture biologique –
c’est-à-dire de bénéfices collatéraux dont profiteraient les parcelles conventionnelles adjacentes.
L’hypothèse est plutôt à contre-courant des idées dominantes, qui considèrent que les champs bio, moins traités, sont des réservoirs à ravageurs
et à pathogènes et qu’ils portent plutôt préjudice à leur entourage.
« Nous allons tester cela sur la zone atelier, en cherchant à savoir si l’agriculture biologique a, au contraire, un effet bénéfique sur
les autres parcelles en servant de refuge à des pollinisateurs ou à des organismes auxiliaires, par exemple susceptibles de faire du biocontrôle[c’est-à-dire de la prédation des ravageurs] », explique Sabrina Gaba.
Soixante carrés de 1 kilomètre de côté ont été sélectionnés dans la zone atelier. Dans chaque carré, une proportion variable de surfaces
conduites en agriculture biologique, de 0 % à 80 %, et trois parcelles-cibles à étudier : l’une en blé bio, une autre en blé conventionnel et une dernière en colza ou
tournesol conventionnel.
Les résultats escomptés permettront de déterminer si l’agriculture bio a un effet bénéfique sur les parcelles adjacentes et, peut-être, d’estimer
le bénéfice économique qu’en ont tiré – sans le savoir – les agriculteurs conventionnels.
Rémanence de certains pesticides
Pour cela, il faut aussi écarter tous les facteurs possibles de confusion. Et connaître finement toutes les pratiques des agriculteurs de la
zone. Etre capable de savoir quels types d’intrants ont été utilisés, quand et en quelles quantités.
C’est un gigantesque travail de porte-à-porte et d’indexation. Tout l’historique des 15 000 parcelles de la zone atelier est dûment
enregistré depuis la création de la zone atelier, voilà vingt-deux ans. L’effort pourrait sembler disproportionné en regard du bénéfice scientifique attendu : à quoi bon savoir ce qui s’est
passé quelques années plus tôt sur une parcelle ?
Mais l’information ne permet pas seulement de suivre sur le long terme l’impact environnemental ou agronomique de la rotation des cultures. Il
devient utile pour évaluer la rémanence de certains pesticides.
En 2013 et 2014, les chercheurs du CEBC ont mené une expérimentation sur du colza traité au thiaméthoxame (un néonicotinoïde). L’un des
préalables à l’étude était de contrôler les quantités de substances retrouvées dans le pollen et le nectar des plantes traitées
« Or nous avons eu la surprise de découvrir également de l’imidaclopride, un autre néonicotinoïde auparavant utilisé sur le
blé,dit Fabrice Allier, ingénieur à l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation et associé au centre
de Chizé. Parfois, on voit que du blé Gaucho [nom commercial du blé dont les semences ont été enrobées d’imidaclopride] a été planté il y a plusieurs années, mais que des résidus
d’imidaclopride persistent dans le nectar et le pollen du colza planté aujourd’hui sur les mêmes parcelles. »
Effondrement massif des insectes
La découverte, publiée à l’automne 2015 dans la revue Proceedings of the Royal Society B, est d’autant plus surprenante que les taux
d’imidaclopride retrouvés dans ces plantes mellifères, très attractives pour les abeilles, excèdent parfois les taux de thiaméthoxame détectés – molécule avec laquelle elles ont pourtant été
traitées !
Les mécanismes de rémanence, de remobilisation et de transport de ces substances dans l’environnement sont encore peu connus. Un manque de
connaissance fort dommageable, les néonicotinoïdes étant suspectés de produire des effets délétères de grande ampleur sur l’ensemble de la biodiversité – le cas de l’abeille domestique étant le
plus médiatisé.
Sachets de thé ayant passé entre un et deux mois à 7 cm sous le sol afin de mesurer la capacité du sol à dégrader la matière organique, ils
sont pesés avant et après l'expérience.
Malgré la forte implantation d’agriculteurs bio – près du double du niveau national – et malgré les dispositifs de maintien de la biodiversité
rendus possibles par son classement Natura 2000, d’importants dégâts se font sentir dans la zone atelier.
Ils sont en accélération, et Vincent Bretagnolle suspecte l’impact des « néonics ». « Les derniers chiffres qui ont été publiés
et qui montrent une augmentation récente de leur utilisation d’environ 30 % correspondent bien à ce que l’on voit dans la zone atelier, s’alarme le chercheur. Depuis 2012-2013, on
assiste à un effondrement massif des insectes. Les populations de carabes, un petit scarabée qui est ici l’espèce la plus commune et qui remplit d’importantes fonctions écosystémiques, ont chuté
de 90 % en vingt ans. Cette tendance, on peut l’observer sur un grand nombre de taxons [catégories d’êtres vivants] : pour l’alouette des champs, pour le campagnol, on est sur un
rythme comparable d’effondrement. C’est très inquiétant. »
Le plus déprimant, pour les chercheurs, n’est pourtant peut-être pas tant de documenter le désastre que de produire des connaissances dont les
décideurs semblent n’avoir que faire…
Un observatoire de la biodiversité et de l’agriculture
La zone atelier Plaine et Val de Sèvre appartient au réseau national des zones ateliers piloté par le CNRS. C’est une plaine céréalière au sud de
Niort qui, pour moitié de sa superficie, bénéficie aussi du statut de zone Natura 2000, désignée pour la biodiversité remarquable des espèces d’oiseaux. Elle est étudiée depuis 1994. Elle
associe quinze unités de recherche (INRA, universités), mais aussi des instituts techniques comme l’Institut technique de l’apiculture et de la pollinisation, et des agriculteurs. L’objectif
de cet observatoire à long terme des pratiques agricoles et de la biodiversité est de produire et de diffuser des connaissances en agroécologie.
*(Chizé est situé près de Niort, dans les Deux-Sèvres, 79)
Brexit : assez de la
légende « Bruxelles contre les peuples »
LE MONDE | 21.06.2016
Par Yves Bertoncini, directeur de l’Institut Jacques Delors
Une légende veut que Bruxelles soit incapable de tenir compte du verdict des référendums. Cela serait révélateur d’une fracture démocratique entre l’UE et ses peuples. Cette légende traduit un
triple déni de démocratie, qu’il est d’autant plus utile de relever dans un contexte de dénigrement pavlovien de « l’Europe ».
Depuis 1972, 57 référendums portant sur des enjeux liés à l’UE ont été organisés, dont les verdicts ont été suivis d’effets : voilà un premier déni de la réalité démocratique européenne.
Près des trois quarts de ces référendums (41) ont conduit à l’approbation du texte européen proposé : tous leurs résultats ont été pris en compte, à l’exception des deux « oui »
espagnol et luxembourgeois au traité constitutionnel européen, qui n’est finalement pas entré en vigueur.
Les six « référendums d’appartenance » négatifs ont aussi vu leurs résultats dûment pris en compte – il en sera de même en cas de vote négatif au référendum britannique du 23 juin,
car l’Union n’est pas une prison : nul peuple n’est obligé de la rejoindre ou d’y rester contre son gré. Idem pour les quatre « référendums d’approfondissement » négatifs
(participation ou non à l’Union économique et monétaire notamment). Les Danois bénéficiaient par exemple d’une exemption en matière de coopération policière et judiciaire, depuis le référendum
négatif de 1992 ; ils ont refusé de la mettre en cause lors d’un référendum en 2015, et nul ne s’est opposé à leur volonté.
« Dénis de démocratie »
C’est seulement lorsque des « référendums de gouvernance », portant sur des enjeux plus indivisibles, s’avèrent négatifs (c’est arrivé six fois), qu’il est plus délicat de prendre leur
verdict en considération au niveau européen. Lorsque les Irlandais rejettent le traité de Lisbonne, qui modifie les règles de fonctionnement et les compétences de l’UE, comment leur donner
satisfaction, sauf à renoncer à ce traité, mais aussi à tous les suivants, dès lors que l’accusation selon laquelle le traité suivant ressemble au précédent ne manquera pas d’être brandie ?
Lorsque les Néerlandais rejettent l’accord d’association UE-Ukraine, comment les exempter de ces dispositions, notamment économiques et commerciales, et comment les satisfaire pleinement, sauf à
renoncer là aussi à tout nouvel accord entre l’UE et l’Ukraine ?
La solution politique doit être recherchée par un examen des raisons ayant poussé une majorité des votants à dire non, lorsqu’elles ont un rapport direct avec le texte rejeté. Cette stratégie a
permis de transformer le traité constitutionnel en traité de Lisbonne, en l’expurgeant d’éléments qui avaient fait l’objet d’un rejet en France et aux Pays-Bas. Elle sera utilisée après
l’identification des motivations des Néerlandais contre une aide financière à une Ukraine présumée corrompue, ou la possible libéralisation des visas accordés aux Ukrainiens.
Le deuxième « déni de démocratie », c’est celui que pratiquent les acteurs et observateurs qui pensent qu’un non référendaire devrait s’imposer à tous les autres peuples de l’UE, alors
que nombre d’entre eux ont une position divergente. Il faut faire preuve de paresse intellectuelle et de mauvaise foi politique pour professer l’idée selon laquelle les verdicts référendaires
négatifs sur les enjeux européens seraient les manifestations successives d’une fracture « Bruxelles contre les peuples » : ces référendums traduisent en réalité une fracture entre
les peuples de l’UE, qui est inquiétante, mais qui n’est pas le signe d’un « déficit démocratique ».
Il ne serait pas démocratique d’entériner la primauté d’un peuple sur les autres : on ne saurait se fonder sur un verdict référendaire pour tenter d’imposer ses vues aux autres, ni
interpréter la difficulté de trouver un nouveau compromis proche de celui rejeté comme le symptôme d’un déni de démocratie.
Dénouer cette contradiction démocratique sans nier l’utilité de l’appel aux peuples supposerait d’organiser des référendums paneuropéens ouverts à l’ensemble des citoyens de l’UE, et dont le
verdict devrait être accepté par les votants mis en minorité, comme par les représentants de leurs Etats. A défaut, il faut forger des compromis entre 28 démocraties, dont aucune ne saurait
dicter sa loi aux autres.
Le monopole des peuples
Le troisième déni de démocratie en matière européenne découle de l’idée selon laquelle un non populaire serait plus légitime qu’un ou des oui parlementaires. Il n’est guère surprenant qu’il soit
commis par des forces politiques minoritaires, qui ne parviennent pas à conquérir le pouvoir par les voies de la démocratie représentative, faute de disposer de la confiance d’une majorité des
citoyens de leurs pays. D’où leur prédilection pour des référendums à l’issue desquels leur alliance circonstancielle, protestataire et parfois contre nature, est susceptible d’emporter la
majorité des suffrages.
Même si elles souffrent de discrédit, les autorités nationales ne sauraient concéder le monopole des peuples à des forces qui critiquent les élus faute d’en avoir suffisamment, bien au-delà des
enjeux européens. Les autorités européennes doivent d’autant moins accepter la primauté de la démocratie référendaire nationale qu’il est parfois impossible de recourir au référendum sur des
enjeux européens.
La gouvernance de l’UE comporte une dimension représentative incontournable : les autorités nationales doivent pouvoir engager pays et peuples, en les consultant si besoin en amont de leur
participation aux décisions bruxelloises. Elle pourrait difficilement s’accommoder de la multiplication de référendums nationaux dont les résultats seraient en contradiction avec les positions
des autorités du pays concerné, mais surtout avec celles des autres peuples de l’UE, qui en deviendrait ingouvernable, au détriment de ses citoyens, sans pour autant être plus
démocratique.
Yves Bertoncini est directeur de l'Institut Jacques Delors depuis avril 2011.
Il est administrateur de la Commission européenne, où il a travaillé au sein des Directions générales "Education, Formation, Jeunesse" et "Politique
Régionale". Il a travaillé dans les services du Premier Ministre français en tant que chargé de mission « Europe » au Centre d’analyse stratégique (2006-2009) et comme Conseiller auprès du
Secrétaire général des Affaires européennes (2010-2011).
Il a également travaillé pour le Ministère français des Affaires étrangères et européennes, pour l’organisation du « dialogue national pour l’Europe »
(1995-1997) et à l’ambassade de France à Alger (1992-1993). Il a enfin été responsable des Affaires internationales de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance (2002-2005).
Il enseigne ou a enseigné les questions européennes au Corps des Mines (Mines Paris Tech), à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (2001-2011) et à l’Ecole
nationale d’administration (2007-2009). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, articles et "policy papers" sur les enjeux européens.
TRIBUNE
Pour une écologie en action*
Libération21 juin 2016
OGM, gaz de schiste, COP 21… Les avancées vertes
ont été nombreuses ces quatre dernières années. Mais pour l’heure, ce qui compte, c’est la victoire de la gauche en 2017.
Pour une écologie en action
Ecologistes, nous portons un projet de transformation de la société centré sur le développement humain et le respect de l’environnement. Cela se traduit par une exigence singulière au sein de la
majorité que nous avons constituée en 2012, pour peser jusqu’au bout sur les décisions et répondre à l’urgence sociale et climatique par des actes concrets.
Nous avons parfaitement conscience des erreurs commises par cette majorité, des insuffisances, parfois des défauts de pédagogie. Oui, nous aurions préféré que la majorité mène plus loin la
réforme fiscale, concrétise une taxe poids lourd mal préparée par la majorité précédente, soit plus explicite sur sa politique, plus rapide parfois dans son action. Mais nous savons aussi ce qui
a été fait : la loi de transition énergétique qui vise à réduire la consommation d’énergie, à développer les énergies renouvelables et qui remet en cause, de manière historique, le dogme du
tout-nucléaire ; la résistance aux lobbys pour maintenir l’interdiction des gaz de schiste et des OGM ; le soutien au développement de l’agroécologie ; la création et la montée en puissance de la
taxe carbone rebaptisée «contribution climat énergie» et, bien entendu, la réussite de la COP 21 : le sommet de Paris sur le climat a accouché du 1er accord universel de l’histoire qu’il s’agit
de concrétiser.
Et nous savons ce qu’il reste à faire au cours des semaines qui viennent : simplification administrative et réglementaire au service des projets d’énergies renouvelables et de l’entreprenariat,
car la transition écologique de l’économie passe par les entreprises, généralisation à grande échelle de l’isolation thermique des logements, qui permettra une baisse des consommations
énergétiques et des économies pour les citoyens, mise en place d’un cadre législatif clair et opérationnel pour protéger la biodiversité, interdiction des pesticides tueurs d’abeilles, taxation
de l’huile de palme, inscription du préjudice écologique dans le code civil, compléter l’arsenal pour lutter contre les pollutions de l’air…
Bien sûr, en tant qu’écologistes, nous aimerions aller plus vite, plus loin. Mais reconnaissons qu’aucune majorité dans l’histoire française n’aura fait autant, en quatre ans, sur l’écologie.
Surtout, aucune majorité alternative potentielle n’aurait fait autant : il suffit pour s’en convaincre de lire les déclarations des leaders du parti Les Républicains, de ceux du FN, mais aussi de
constater les votes le plus souvent hostiles à l’écologie des députés du Front de gauche. Il suffit aussi de regarder comment les sénateurs de droite tentent de tailler en pièces la loi sur la
biodiversité et comment leurs nouveaux présidents de région entament une chasse aux écologistes, supprimant les subventions aux associations de défense de l’environnement.
Nous sommes ainsi des écologistes dans l’action, partenaires d’une majorité qui avait fait du retour à la raison budgétaire, de la justice sociale et du progrès économique et social des boussoles
pour sa politique. Sur le progrès social, là encore, nous avons conscience de certaines erreurs commises, mais nous assumons les résultats qui sont là : en quatre ans, les déficits sociaux ont
été divisés par 2 - condition essentielle au maintien d’un système de protection sociale solidaire. Les fruits de la lutte contre l’évasion fiscale permettent, depuis deux ans, de financer les
baisses d’impôts pour les classes moyennes et les faibles revenus. Le renforcement des moyens de l’école et son adaptation au monde ont été engagés. Et les conditions d’une économie plus
compétitive, respectant le dialogue social au sein des entreprises, garantes de nouveaux droits (formation tout au long de la vie, mutuelles pour les salariés, égalité professionnelle entre les
femmes et les hommes) sont peu à peu mises en œuvre, malgré les conservatismes. Le chômage commence enfin à reculer. Tout cela, seule cette majorité l’a fait. Les actes sont là pour en témoigner.
Nous déplorons donc le jeu systématique des postures et du dénigrement pavlovien qui ne font qu’entretenir une dépression collective, un sentiment d’impuissance face aux crises et une crainte du
déclassement qui alimentent ensemble le populisme nationaliste d’extrême droite.
Face à ces crises qui ont des solutions, pour peu qu’on s’inspire collectivement de réussites locales ou individuelles, face à ce danger populiste qui peut être conjuré, pour peu qu’on cesse de
s’en renvoyer la responsabilité en permanence au visage, sans voir qu’il n’est pas franco-français, nous avons fait le choix de l’écologie qui agit. Parce que ce qui compte à nos yeux, ce n’est
pas de savoir si un candidat écologiste, quel qu’il soit, fera «un bon score» au premier tour d’une élection présidentielle qui verrait, au second, le choix réduit entre l’extrême droite et une
droite libérale qui se présente comme «parti des OGM, du nucléaire et des gaz de schiste». Ce qui compte à nos yeux, ce n’est pas de faire vivoter une boutique peinte en verte, qui survivrait
dans un paysage politique dévasté en attendant un grand soir qui ne viendra jamais. Ce qui compte à nos yeux, c’est la victoire de la gauche en 2017 pour continuer à faire progresser l’écologie
et les solutions concrètes que cette dernière propose aux Français.
*Emmanuelle
Cosse, Ministre du Logement et de l’Habitat durable, Barbara Pompili Secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, François de Rugy, Député de la Loire-Atlantique, vice-président de l’Assemblée
nationale, président du parti Ecologistes !,Véronique Massonneau Députée de la Vienne, vice-présidente du groupe socialiste, écologiste et républicain à l’Assemblée nationale, Eric Alauzet
Député du Doubs, Christophe Cavard Député du Gard, François-Michel Lambert Député des Bouches-du-Rhône.
« L’année
lombarde », cible des actions collectives
Entretien LE MONDE ECONOMIE
Par Jade Grandin de l'Eprevier
Avec Christophe Léguevaques *
16.06.2016
Les petits calculs des banques se retournent parfois contre elles. La nouvelle plate-forme d’actions collectives conjointes Mysmartcab, lancée jeudi 16 juin, compte bien en tirer profit.
Cette nouvelle société indépendante de conseil juridique veut devenir « un grand cabinet virtuel pour rivaliser avec les grands cabinets employés pour se défendre par les groupes
industriels », explique son fondateur Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris. Pour 1 200 à 2 400 euros, des particuliers pourront obtenir l’aide de
professionnels du droit pour faire valoir leurs intérêts.
Sa première cible ? Les banques ayant utilisé « l’année lombarde » pour leurs crédits immobiliers. « C’est une action collective rentable, simple, très connue, sans risque
pour le client et présentant un résultat financier pour l’avocat », se réjouit Me Lèguevaques. Grâce à la « manne » attendue de cette première action
collective, il veut « constituer une cagnottepour financer d’autres actions collectives plus citoyennes : accompagner les victimes de pesticides, attaquer un grand syndic de
copropriété qui aurait surfacturé ses prestations, etc. »
Les banques ont beaucoup à perdre
Mysmartcab n’est pas la première à avoir flairé l’aubaine. Plusieurs plates-formes similaires se sont déjà emparées du sujet. L’ordre des avocats de Paris a ouvert une procédure collective sur la
pratique de l’année lombarde. ActionCivile.com, propriété de la société Demander justice, propose également des actions collectives conjointes. Celles-ci ont été autorisées par la loi Hamon du
17 mars 2014. Sorte d’action de groupe à la française, elles permettent de mutualiser les efforts en regroupant des dossiers similaires, mais de les traiter indépendamment si l’un aboutit
plus vite que les autres. Pour se différencier, Me Lèguevaques a recruté quinze avocats et garantit un suivi personnalisé à ses clients. Il en vise mille d’ici à trois
mois.
Pour les banques, l’année lombarde consiste à calculer les intérêts d’un prêt immobilier sur la base d’une année de 360 jours au lieu de 365, comme le faisaient, au Moyen Age, les banquiers
de Lombardie, une région du nord de l’Italie. Une pratique qui simplifie les calculs des banques en considérant que chaque mois fait trente jours. Sur la durée totale d’un prêt, la facture
s’alourdit de quelques euros à une centaine d’euros pour l’emprunteur. Les banques, elles, multiplient ce gain sur des centaines de milliers de dossiers.
« C’est opaque et toujours en faveur de la banque,
réprouve Laurent de Badts, associé gérant des Expertiseurs du crédit, une société concurrente de Mysmartcab qui aide aussi les emprunteurs à contester leur dossier de crédit. Ce sont des
profits virtuels non mérités, de l’argent fait sur une pirouette mathématique. »
La majorité des établissements ont mis fin à cette pratique. Et pour cause : ils ont beaucoup plus à perdre qu’à y gagner. Si un emprunteur les attaque en justice, la sanction peut être
lourde. D’après le code de la consommation, le taux effectif global (TEG) du crédit immobilier qui comprend les garanties et les assurances doit être calculé sur la base d’une année civile de
365 jours. La Cour de cassation a donc maintes fois donné raison aux emprunteurs. Elle ordonne alors aux banques de recalculer la totalité des intérêts du prêt au taux légal lors de son
accord. Or, ce taux légal, de 1,01 % au premier semestre 2016,
est souvent inférieur au taux négocié initialement. Il a atteint son minimum historique à 0,04 % en 2013
et 2014. Sur chaque dossier sanctionné, l’établissement perd en moyenne 60 000 euros, selon les Expertiseurs du crédit.
Le 15 avril, le tribunal de grande instance de Montpellier a ainsi condamné la Caisse d’épargne du Languedoc-Roussillon à rembourser à une cliente 24 556 euros en intérêts perçus et à recalculer ses intérêts futurs aux taux de
0,04 % et 0,38 % contre 3,30 % et 3,90 % auparavant. Soit une économie totale de 85 000 euros pour l’emprunteuse.
Plus d’un million de contrats seraient non conformes, pour un coût potentiel de 84 milliards d’euros pour les établissements, ont estimé les Expertiseurs du crédit. Le délai de prescription
est de cinq ans après la signature du contrat ou la découverte d’une irrégularité non stipulée.
Un pactole qui fait saliver les sociétés privées de conseil juridique. En plus de facturer au client leur forfait classique d’accompagnement, elles prélèvent un pourcentage des économies
réalisées sur le dos des banques. Vaches à lait ? Plutôt « poches profondes », pour Me Lèguevaques.
« Je ne fais qu’appuyer là où ça fait mal. La question est traitée depuis plus de dix ans par la Cour de cassation qui sanctionne systématiquement les banques, mais elles ont
continué d’utiliser l’année lombarde. »
LCL a cessé d’y recourir seulement en février et nie toute faute. « Nos prêts sont établis en toute bonne foi et toute transparence », assène la banque. Mysmartcab et ses
concurrents entendent bien continuer de prouver le contraire devant les tribunaux.
*Christophe Léguevaques est avocat au barreau de Paris, docteur en droit, spécialiste dans le droit des catastrophes et les risques, du droit bancaire et financier, associé gérant de la cLé,
réseau d’avocats à Paris et Toulouse. Il est membre du Club DJS (Droit Justice et sécurités) et du conseil scientifique du PRé.
«L’écologisation va entrer de force dans la géopolitique»
Novéthic* - 6 juin 2016
Face à l’urgence écologique, l’ancien ministre des affaires étrangères affirme qu’une véritable communauté internationale pourrait se souder autour de la préservation du climat ou de la
biodiversité. Hubert Védrine propose également des outils afin que le monde politique, mais également celui de l’entreprise, soient désormais capables de penser le long terme. L’essai qu’il
consacre à ces questions, «Le monde au défi», est sorti début avril. Propos recueillis par Antonin Amado
Novethic : La communauté internationale des droits humains est-elle morte? Vive la communauté internationale des droits écologiques?
Hubert Védrine : La communauté internationale des droits humains n’est pas morte. Mais elle ne suffit pas. L’effort historique réalisé par les Occidentaux pour instaurer dans le monde entier les
valeurs occidentales, celle de la période des Lumières en somme, n’a pas réussi à s’imposer au monde chinois, à la culture musulmane, etc. Cet universalisme est admirable mais il est insuffisant.
Il n’a pas permis de constituer une communauté internationale dans laquelle tous les peuples du monde auraient les mêmes peurs et les mêmes projets.
Tout comme n’a pas suffi l’économie de marché dérégulée et hyper financiarisée, peut-être parce qu’elle était caricaturale d’elle-même.
Ma démarche a donc consisté à me poser cette question : quel est le seul vrai lien entre tous les habitants de la planète? Et la réponse est simple : que la planète demeure vivable. Formulé
ainsi, cela ressemble à une lapalissade. Mais il faut entendre l’alerte des milieux scientifiques, qui s’alarment des changements climatiques, de l’effondrement de la biodiversité, des
pollutions, de l’artificialisation des sols. Etc. Autant de dangers qui sont encore moins soutenables dans un monde à 7,8 ou 9 milliards d’humains.
Dans ces conditions, un mode de vie à l’américaine, à l’occidental, n’est pas possible. Mais ce qui est frappant d’un point de vue géopolitique, c’est que ces évidences là, tout le monde s’en
fiche. On assiste parfois à des pulsions d’intérêt, comme la COP21, mais dix jours plus tard, tout le monde a oublié. J’essaie de faire le pont entre les enjeux classiques des relations
internationales et ces urgences écologiques.
Les États ont-ils encore les moyens de faire l’impasse sur ces questions écologiques ?
Non, car elles vont entrer de force dans la géopolitique. De plus en plus, les États seront jugés sur leur participation à la question écologique. Et non plus seulement sur leurs capacités
militaires, leur respect des droits humains ou leur puissance économique. La notion d’État voyou écologique finira par s’imposer, même si les spécialistes des relations internationales sont très
hostiles à cela. Il parait probable qu’un pays ne mettant pas fin à un trafic d’une espèce d’animal en voie de disparition – ce n’est qu’un exemple parmi d’autres – sera sanctionné.
Quels outils proposez-vous pour parvenir à fabriquer ce pont entre relations internationales et urgences écologiques?
L’un des plus importants concerne l’économie de marché. Le seul instrument pour mesurer la croissance et la richesse d’un pays est le produit intérieur brut (PIB). C’est un instrument
extraordinairement schématique et sommaire. On lui fait jouer un rôle qui n’aurait pas dû être le sien. Le PIB ne mesure que les flux. En caricaturant à peine, si demain on rase une forêt entière
pour installer des industries polluantes qui vont provoquer des cancers pendant trente ans, c’est de la croissance. Il y a là quelque chose d’absurde.
Ce qui manque absolument dans le calcul économique, c’est la prise en compte du patrimoine. On parle de stock en économie. Donc si on parvient à donner une valeur au patrimoine existant – par
exemple la capacité de la forêt à capter du CO2 – les outils de mesure qui seront demain utilisés par tout le monde et en particulier les investisseurs permettront d’aller dans le bon sens :
celui de l’écologisation.
Donner une valeur à la capacité de la nature à se régénérer, c’est presque se passer de lois et de mesures coercitives. Ce serait génial. Celui ou celle qui inventera un tel mécanisme méritera le
Nobel d’économie.
Avez-vous identifié des chercheurs qui travaillent actuellement à l’élaboration d’un tel indice ?
Ils sont actuellement des dizaines dans le monde à le faire. Impossible, évidemment d’être exhaustif, mais une chose m’a tout de même marqué : les indicateurs auxquels travaillent la plupart de
ces chercheurs mélangent économie, écologie et bien-être de la population. Je pense qu’il est difficile, voire impossible, de concilier toutes ces notions à la fois. C’est tellement difficile de
mesurer le bonheur et le bien être… Il faut y aller par étapes. Les pouvoirs publics devraient encourager activement la recherche sur cette question.
Comment définiriez-vous l’écologisation que vous évoquez ?
Quand on parle d’écologie, c’est une notion statique qui nous renvoie au fait que certains sont pour et d’autres contre. Les écologistes d’un côté, les prédateurs classiques de l’autre. Or, si
l’on résonne comme cela, rien n’est soluble.
L’exemple de l’élevage est à ce titre parlant. Nous mangeons globalement trop de viande. Et la production de cette viande a aujourd’hui un coût environnemental trop élevé. Pour autant, comment
imaginer mettre brutalement au chômage d’un seul coup les centaines de milliers de personnes qui vivent de cette industrie?
Le mot d’écologisation, qui est à rapprocher de celui d’industrialisation, permet de convoquer le temps long. Cette écologisation va nous prendre 10, 20, 30 ans. Mais on va y arriver. Il s’agit
de responsabiliser les professionnels de chaque filière avec des objectifs atteignables à un horizon lointain. L’accent doit être mis sur les secteurs de l’industrie, de la chimie, du bâtiment,
des transports et de l’agriculture. Il faut réduire la violence de l’antagonisme immédiat et faire émerger des solutions de long terme.
Dans leur écrasante majorité, les entreprises ont du mal à penser le temps long. Leur horizon est en général limité à une fourchette s’étalant de trois à cinq ans. Comment dépasser cet obstacle?
Cinq ans, ce n’est déjà pas si mal. En particulier si vous avez un plan. C’est pour cette raison que de nombreuses entreprises ont commencé à bouger. C’est notamment vrai dans le secteur de
l’énergie.
Cela dit, les entreprises n’ont pas le monopole du court-termisme. Combien d’États, y compris parmi les grandes démocraties, peuvent se targuer d’un plan de transition sur les cinq prochaines
année?
Le secteur privé est-il en avance par rapport aux puissances publiques sur ces grands enjeux écologiques ?
À quelques exceptions près, oui, le monde de l’entreprise est en avance. Prenez notamment n’importe quel segment de l’industrie : tous les acteurs du secteur sont en mouvement sur ces questions,
même s’ils se battent parfois via du lobbying pour ralentir certaines législations ou réglementations. Mais globalement, le monde de l’entreprise a compris qu’il doit s’adapter. Et très vite.
Comment créer les conditions d’un dialogue de long terme entre le monde de l’entreprise et celui d’une sphère politico-administrative chargée d’édicter des normes?
Mais ces discussions existent déjà et elles sont permanentes, même si elles tournent parfois au dialogue de sourds. Mais cette question nous ramène au problème auquel sont confrontés les
décideurs politiques : le court-termisme. Ils sont soumis à des sollicitations constantes, dont les trois quarts sont artificielles. C’est ce qui rend la fonction de décideur public si difficile
à accomplir aujourd’hui.
La crise actuelle de la démocratie représentative les fragilise encore davantage. Dans ce contexte, ils ont bien souvent du mal à trancher des intérêts contradictoires. L’affaiblissement de la
sphère publique est un handicap. Les entreprises n’y sont pas soumises et peuvent avancer de leur côté.
Le politique peut-il aujourd’hui se donner les moyens de penser le long terme ?
C’est le cœur de la question. Je reprends de mon côté une idée de Robert Lyons remise au goût du jour par Jacques Attali et portée par Nicolas Hulot. Il s’agit d’une chambre des générations
futures. Un organisme, qui serait plutôt composée de scientifiques de plusieurs disciplines, capables de penser le long terme.
N’est-ce pas le rôle du Conseil économique sociétal et environnemental?
Il n’a pas le poids suffisant. Beaucoup de gens honorables y siègent, mais vous savez bien que ça ne marche pas. Ça ne sert à rien.
Non, cette chambre pourrait faire un rapport public annuel sur le modèle de la Cour des comptes.
Ce rapport aurait un impact énorme, car l’opinion publique est aujourd’hui sensibilisée à ces questions. Sauf qu’à la différence de la Cour des comptes, il s’agirait d’examiner les impacts d’une
loi ou d’une mesure dans le futur, et non jauger des actions passées.
Il s’agirait de se poser ces deux questions : cette mesure est-elle bonne pour nos enfants? Et les enfants de mes enfants?
Cela permettrait au débat public de s’installer.
* Novethic est "le média promoteur du modèle économique responsable".
Ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine préside aussi l'Institut François-Mitterrand (IFM) depuis 2013. En novembre 2012, il remet au Président
Hollande un « rapport sur les conséquences du retour de la France dans l’OTAN, sur la relation transatlantique et sur l’Europe de la défense «. Cette même année il signe un nouvel ouvrage, publié
chez Fayard: «Dans la mêlée mondiale». En 2013 - 2014, il préside la commission qui rédige un rapport sur les perspectives économiques entre l’Afrique et la France.
Il a crée en 2003 son propre cabinet de conseil, tout en travaillant en parallèle pour le cabinet d’avocats Gide Loyrette Naouel ainsi que pour de grandes
entreprises Son dernier ouvrage, paru en 2015 chez Fayard: «la France au défi».
En finir avec le procès en islamophobie
Par Patrick KESSEL, Président du Comité Laïcité République — 15 février 2016 à 17:11
Si le racisme antiarabe doit être combattu, les accusations systématiques d’islamophobie visent en revanche à discréditer l’idée que la laïcité s’applique à tous les cultes, à l’islam comme aux autres.
La magistrale leçon
inaugurale de Patrick Boucheron au Collège de France
Le médiéviste a disserté sur le thème « Ce que
peut l’histoire », jeudi 17 décembre.
Le Monde.fr | 19.12.2015
L’exercice
n’est pas vraiment pour lui. Inaugurant l’année académique 2014-2015 à Bordeaux, Patrick Boucheron confessait d’entrée qu’il « aimerait ne jamais
avoirà
commencer»,
épinglant la violence de l’assertion puisque commencer et
commanderpartagent la même racine
grecque. Et l’historien de
fairesienne la formule du Foucault
de L’Ordre du discours , placé devant le même défi inaugurant quarante-cinq ans plus tôt sa propre chaire au Collège de France consacrée à l’Histoire des systèmes de pensée : « Plutôt
que de
prendrela parole, j’aurais
voulu
êtreenveloppé par elle, et porté
bien au-delà de tout commencement possible ».
Le médiéviste a
pareillement choisi l’intitulé de la chaire qu’il inaugurait jeudi 17 décembre à l’amphithéâtre Marguerite de Navarre : « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale XIIIe-XVIe siècle ». Mais
avant de
livrerles grandes options de ce qui
sera son enseignement, Patrick Boucheron a revisité l’exercice académique voulu par l’institution. Et si c’est sous l’égide d’un philosophe et d’un sociologue, Michel Foucault et Pierre Bourdieu,
que l’historien se place d’entrée, et cela s’entend pour qui veut
percerla symbolique des formes
culturelles de la domination, il a tenu à
reprendreces discours programmatiques
qui, depuis 1530, font l’identité de ce Collège des savoirs rêvé par François Ier et Guillaume Budé.
Relever le
défi de la posture académique
De Latomus (1534)
– le premier dont le propos est conservé – à Michelet (1838) qui « invente » cette Renaissance dont Boucheron ne fait qu’un épisode dans une séquence plus ample, qu’ouvre au XIIe siècle le pari
de la réforme grégorienne où l’Église entend
confisquerl’autorité et ce début du
XVIIe siècle où l’autonomisation de la raison politique ne fait plus guère débat dans les faits sinon dans les cercles du
savoir. De Ramus (1551) à Braudel
(1950), Patrick Boucheron interroge l’exercice, en décrypte les enjeux, s’en imprègne sans s’y
coulervraiment, aussi soucieux
de
releverle défi de la posture
académique que de
privilégierun verbe proclamatif qui
entend
comprendreà quoi sert l’histoire
aujourd’hui. Comme pouvaient se le
demanderles contemporains de Budé et
d’Erasme confrontés aux Guerres de religion qui en firent, pour reprendre la formule de Lucien Febvre, citée par Fernand Braudel dans sa propre leçon inaugurale, ces « tristes hommes d’après
1560 ».
Verbatim: « Il
faut “étonner la catastrophe” »
« Nous avons
besoin d’histoire car il nous faut du repos. Une halte pour reposer la conscience, pour que demeure la possibilité d’une conscience — non pas seulement le siège d’une pensée, mais d’une raison
pratique, donnant toute latitude d’agir. Sauver le passé, sauver le temps de la frénésie du présent : les poètes s’y consacrent avec exactitude. Il faut pour cela travailler à s’affaiblir, à se
désœuvrer, à rendre inopérante cette mise en péril de la temporalité qui saccage l’expérience et méprise l’enfance. « Étonner la catastrophe », disait Victor Hugo, ou avec Walter
Benjamin, se mettre en travers de cette catastrophe lente à venir, qui est de continuation davantage que de soudaine rupture.
Voici pourquoi
cette histoire n’a, par définition, ni commencement ni fin. Il faut sans se lasser et sans faiblir opposer une fin de non recevoir à tous ceux qui attendent des historiens qu’ils les rassurent
sur leurs certitudes, cultivant sagement le petit lopin des continuités. L’accomplissement du rêve des origines est la fin de l’histoire — elle rejoindrait ainsi ce qu’elle était, ou devait être,
depuis ces commencements qui n’ont jamais eu lieu nulle part sinon dans le rêve mortifère d’en stopper le cours.
Des allégories
politiques données à
voirdans le palais communal de
Sienne, quand rôde le spectre de la tyrannie (1338) aux objets triviaux (ce jeton de 1581 où apparaît la devise latine appelée à s’imposer à Paris, « fluctuat nec mergitur » et qui résonne en chacun au lendemain des attentats du 13 novembre), la sémiotique que propose l’historien dit assez que son « histoire
des pouvoirs » se réinvente en marge des compilations académiques. Et c’est la raison pour laquelle l’entrée de Boucheron au Collège de France, alors qu’il a à peine 50 ans, est une formidable
promesse.
Vigilance
critique
Dans sa brève
mais si juste présentation de l’oeuvre déjà accomplie par le jeune médiéviste, Roger Chartier salua sa constante attention à la vigilance critique comme garantie d’un civisme exemplaire. La belle
ouverture de la leçon qui suivit, évoquant la place de la République transformée par les hommages nombreux et anonymes rendus aux victimes des attentats de novembre, lui donna pleinement raison.
Avec une flamme et une rigueur littéraire que l’historien revendique aussi comme une voie d’accès à la vérité.
Remerciant du
reste Roger Chartier, brillant champion de sa candidature au Collège, pour sa bienveillance (« sans laquelle l’intelligence n’est qu’une vilaine manie ») Boucheron a tenu, comme toujours,
à
reconnaîtreses dettes. Envers Georges
Duby ou Pierre Toubert, médiévistes fameux qui l’ont précédé dans le lieu, le byzantiniste Gilbert Dagron, récemment disparu, ou Jacques Le Goff, « maître joyeux » de cette dépériodisation
qui lui tient tant à cœur, comme il salue collègues et étudiants qu’il sait
entraînerdans des aventures capables
de
décaperles vernis et d’ouvrir
l’horizon sur cette histoire connectée dont, avec Serge Gruzinski et Romain Bertrand, il incarne le dynamisme et la pertinence en livrant une captivante Histoire du Monde au XVe siècle
(Fayard, 2009).
Des chantiers
historiographiques majeurs
Lui qui a si
souvent coécrit ou codirigé des chantiers historiographiques majeurs (avec notamment Jacques Chiffoleau, Sylvain Venayre, Vincent Azoulay, Jean-Philippe Genet ou Jacques Dalarun récemment) – «
un des plaisirs du métier », précise-t-il, qui permet de
déjouerles injonctions
administratives en leur préférant cette « politique de l’amitié » – se retrouve seul dans sa nouvelle fonction, enseignant toujours, prêt à
aborderd’entrée la part de
souvenirs, de fictions et de croyances au coeur des institutions même. Un défi et une transgression des usages qui conviennent résolument à celui qui invoquait le Hugo des Misérables
(«
tenter,
braver,
persister») pour ne pas se
résoudreà « un
devenirsans surprise, à une histoire
où plus rien ne peut
survenirà l’horizon »qu’il conjure en
homme « exagérément libre ».
Une année de
publications
Outre la reprise
en poche de son formidable Essai sur la force politique des images, à partir des peintures siennoises d’Ambrogio Lorenzetti, Conjurer la peur (Points Histoire, Seuil), l’édition, avec
Jacques Dalarun de l’introspection biographique de Georges Duby, Mes égo-histoires (Gallimard), parallèlement à la direction d’un collectif, emmené par les mêmes maîtres d’oeuvre,
Georges Duby. Portrait de l’historien en ses archives (Gallimard), Patrick Boucheron a assuré avec Stéphane Gioanni la publication des fruits d’un chantier international transdisciplinaire
sur les « usages politiques et sociaux d’une autorité patristique en Italie (Ve-XVIIIe siècle) », La Mémoire d’Ambroise de Milan (Publ. De la Sorbonne) et dialogué avec Mathieu Riboulet
sur les événements de janvier 2015 (Prendre dates, Verdier).
Depuis l’automne,
on peut retrouver son Éloge dantesque de la transmission, prononcé à Bordeaux, puis à Pau en septembre 2014 (Au banquet des savoirs, P.U. de Bordeaux/P.U. de Pau et des Pays de l’Adour, 7
€) et son échange avec le théoricien politique américain Corey Robin, à Sciences Po Lyon en novembre 2014 (L’Exercice de la peur. Usages politiques d’une émotion, P.U. de Lyon, 10 €). Lire
surtout sa lumineuse introduction à la Chronique de l’Anonyme romain qui relate la révolte du tribun romain Cola di Rienzo au mitan du XIVe siècle (Anarcharsis, « Famagouste », 320 p., 24
€) et découvrir Un Tyran attirant, le premier chapitre d’un récit à paraître chez Verdier, donné en ouverture de la livraison que la revue Critique consacre à Patrick Boucheron :
l’histoire, l’écriture (n°823, décembre 2015, 11,50 €) et qui se clôt sur un entretien mené par Marielle Macé et Vincent Azoulay, interrogeant les adresses de l’historien (« défaire les
continuités »).
Entretien avec Marcel Gauchet publié par
Monde.
Nicolas Truong.
22 novembre 2015.
La victoire de François Fillon vous a-t-elle
surpris ?
Oui. J’avais remarqué, comme tout le monde, que
François Fillon s’était nettement imposé lors des débats télévisés entre les candidats de la primaire, mais je ne pensais pas que l’électorat de droite pouvait se montrer aussi stratège. Il est
en général plus fixé dans ses choix. Or, là, il a procédé à grande vitesse et au dernier moment, en fonction de cette offre d’un troisième homme qu’il n’avait pas vraiment perçue, à un calcul de
réduction des inconvénients des deux grands favoris : Sarkozy, trop clivant, Juppé, trop consensuel.
Nicolas Sarkozy offrait à la gauche une fenêtre
inespérée, en raison du capital d’hostilité qu’il a accumulé. Alain Juppé offrait au Front national un boulevard de premier tour par son irénisme élitaire sur les sujets brûlants pour l’électorat
populaire.
Entre ces deux écueils, François Fillon est apparu
comme celui qui était le mieux à même de faire barrage à Marine Le Pen dès le premier tour, tout en donnant un visage plus digne et plus rassurant à la rupture libérale attendue depuis si
longtemps par le noyau actif de l’électorat de droite. Mais je reste étonné que la cristallisation de cette perception se soit effectuée si vite.
Considérez-vous que François Fillon est un
réactionnaire, comme le disent ses adversaires ?
Il faudrait s’entendre une fois pour toutes sur la
signification de ce terme de « réactionnaire », devenu grotesque à force de mésusage. Ce n’est plus que l’anathème des gens qui s’estiment du côté du bien face à ceux qui pourraient troubler leur
digestion. Dans le cas de François Fillon, il ne veut manifestement rien dire.
En François Fillon, la droite française retrouve le
sillon gaulliste, dans une version actualisée, avec son mélange de modernisme et d’ancrage traditionnel. L’ère néolibérale, depuis les années 1980, avait disqualifié la synthèse gaulliste, tant
sous son aspect dirigiste en économie que sous son aspect autoritaire dans la vie sociale. L’essoufflement, si ce n’est la crise de la vision néolibérale, redonne sa chance à la recherche d’une
nouvelle combinaison entre modernisme économique et conservatisme politique.
Les recettes libérales ont remplacé l’économie
administrée et l’individualisation a définitivement éliminé un certain style de commandement, mais elle n’a pas fait disparaître le besoin de sécurité, elle l’a renforcé au contraire. C’est cette
nouvelle variante du conservatisme libéral qui me semble assurer le franc succès de François Fillon.
Mais François Fillon est-il fidèle au gaullisme,
qui fut aussi social et étatiste ?
Le gaullisme n’est pas une doctrine, mais une
inspiration. On pourrait la définir : un pragmatisme au service du patriotisme, dans sa double dimension de priorité de l’intérêt national et d’autorité de l’Etat qui en est l’instrument.
Les temps ont beaucoup changé depuis la mort du
général de Gaulle, en 1970. Le pragmatisme commande de s’adapter à cette nouvelle donne. On prend l’économie telle qu’elle est. Mais ce qui est frappant dans le discours de Fillon, c’est la
subordination de la technique économique à un dessein politique. C’est le « redressement du pays » qui commande de s’en remettre aux recettes libérales.
D’où le volontarisme avec lequel leur application est
envisagée. Sur le plan diplomatique, cela se traduit par le retour à la realpolitik des intérêts nationaux, contre l’idéalisme des interventions au nom des droits de l’homme. En somme, sur le
plan de la politique étrangère, François Fillon est un Hubert Védrine de droite. La continuité dans l’inspiration gaullienne au milieu de la différence des situations me semble assez
nette.
Pourquoi est-ce cette droite – notamment portée par
La Manif pour tous et les essais sur le déclin français – qui est victorieuse intellectuellement et politiquement aujourd’hui ? Est-elle devenue hégémonique ?
Sur le fond, la victoire idéologique de la droite
vient de loin. Elle remonte à plus de trente ans. Elle se résume dans la déroute et l’abandon des solutions collectivistes : les privatisations à la place des nationalisations. La gauche a dû se
résigner à adopter la vision libérale du fonctionnement de l’économie.
Mais la victoire idéologique ne donne pas ipso facto
les clefs du pouvoir politique. Battue idéologiquement, la gauche a très bien résisté politiquement. Elle a trouvé une place dans le cadre libéral en se faisant la championne des droits
individuels et de leur traduction sous forme de droits sociaux. Aujourd’hui, elle est rattrapée par l’épuisement de ce cadre, qui affecte aussi bien la droite libérale classique. La montée des
fameux « populismes » en est le symptôme massif.
La force de la proposition de François Fillon est de
s’écarter de ce cadre conventionnel en remettant le politique au centre, en même temps qu’en faisant appel à un traditionalisme modéré en matière de vision de la société. Mais l’équilibre de
cette combinaison est fort loin d’être trouvé. Souvenons-nous de l’épisode gaulliste, justement : dans sa version d’alors, la combinaison de modernisme économique et de traditionalisme social
avait fini par craquer.
Je ne crois absolument pas à la vocation hégémonique
de cette synthèse. Elle est fragile intérieurement et vulnérable extérieurement. Elle peut tout au plus bénéficier d’un avantage relatif et momentané dans la mesure où elle est en phase avec une
conjoncture de la société française.
Pourquoi le discours sur le religieux a-t-il envahi
la politique aujourd’hui ?
La réponse n’est pas difficile : à cause de l’islam et
des divisions sur l’attitude à adopter à son égard. Vient s’y ajouter maintenant un contrecoup identitaire catholique qui n’était pas non plus très difficile à prévoir. Dans la foulée, les
pro-islam à gauche sont trop contents d’avoir un autre « intégrisme » à dénoncer. Mais n’exagérons pas les proportions du phénomène.
Quels sont les ressorts de ce renouveau du
conservatisme ou de ce populisme nationaliste à l’œuvre aujourd’hui ?
Fondamentalement, le conservatisme nouvelle manière
qui est en train de se chercher un peu partout procède de la frustration proprement politique que suscite le règne néolibéral, dans ses deux visages, de droite et de gauche. Tout à sa
préoccupation de l’efficacité économique, à droite, et des droits individuels, à gauche, il laisse sans réponse des questions que la globalisation et ses effets de diverses natures rendent de
plus en plus pressantes, en particulier dans les milieux populaires.
La fracture qui se creuse entre ceux qui tirent profit
de l’ouverture sur le monde et ceux pour lesquels elle signifie ou chômage ou appauvrissement et environnement social dégradé ranime l’aspiration à la cohésion nationale. Les bénéfices de la
concurrence sont une chose, les nécessités de la protection, à tous les niveaux, militaire, policière ou sociale, en sont une autre. Loin de se dissoudre dans le bain global, le besoin
d’appartenance en sort exacerbé.
La gouvernance ne remplace pas le gouvernement. La
société de marché éloigne de l’impératif primordial de se gouverner. La dépossession démocratique que provoque la soumission à des normes ou à des mécanismes définis de l’extérieur réveille la
nostalgie de la souveraineté. Croire que les individus en réseau vont se substituer au collectif, c’est une vue de l’esprit.
Et il faudrait encore parler, parmi bien d’autres
choses, de la profonde insécurité qu’engendre la liberté personnelle quand on n’a pas vraiment les moyens de l’assumer. C’est l’ensemble de ces facteurs qui se conjuguent dans la formation de
cette nébuleuse conservatrice qui est loin d’avoir trouvé ses contours. La notion confuse de « populisme » en rend très mal compte.
Emmanuel Macron dit que la véritable opposition est
celle entre progressistes et conservateurs. Partagez-vous cette analyse ?
Nous avons connu, au XIXe siècle, le « parti de
l’ordre » et le « parti du mouvement ». Ce genre d’oppositions sont commodes, pas entièrement fausses, mais d’un simplisme qui les rend inopérantes, au-delà du slogan électoral. Dans l’analyse
d’Emmanuel Macron, il y a des conservateurs à gauche comme il y en a à droite, il y a des progressistes à droite comme il y en a à gauche. Donc le clivage classique entre les deux camps est
dépassé.
Sauf que les « conservateurs » en question ne se
soucient pas de conserver les mêmes choses à droite et à gauche et que ce n’est pas du même progrès qu’il est question à droite et à gauche, même s’il existe des zones de recouvrement. La défense
des « acquis sociaux » n’a pas grand-chose à voir avec la défense de la famille traditionnelle et la levée des entraves à la concurrence n’est pas forcément le premier souci de ceux qui visent à
approfondir la participation démocratique.
Ce qui rend la situation actuelle si compliquée, c’est
qu’il y a des conservations, ou plutôt même des sauvetages, qui ressemblent à des progrès et, en revanche, dans l’autre sens, de supposés progrès qui relèvent manifestement d’un « bougisme »
stérile, quand il n’est pas toxique. Emmanuel Macron devra affiner son analyse s’il veut être pris au sérieux.
Puisque, selon vous, la cohésion idéologique est
plus forte à gauche, malgré les dissensions aiguës en son sein, la gauche aurait-elle encore une chance de l’emporter en 2017 ?
Mais on ne gagne pas une élection seulement avec de la
cohésion idéologique, surtout quand celle-ci n’est pas comprise par des acteurs qui se déchirent à qui mieux mieux ! Il y faut des personnalités capables de susciter l’adhésion, un langage qui
paraît en prise sur les problèmes qui tracassent les citoyens et des perspectives d’action convaincantes. Or, la gauche, en son état actuel, n’a rien de tout cela sous la main. Elle est divisée,
sans candidat fédérateur et sans projet de société mobilisateur. Ses chances sont très faibles ; ses plus chauds partisans ne l’ignorent d’ailleurs pas.
Avec le règne néolibéral, « la droite est amenée à
se gauchiser et la gauche à se droitiser », écrivez-vous dans Le Débat. Avec le reflux de son idéologie – même Christine Lagarde propose aujourd’hui de se tourner vers l’économie sociale –, les
deux camps peuvent-ils sortir du confusionnisme ?
Le genre de transition qui se dessine demande du
temps. La clarification n’est pas pour demain. Il y a lieu de craindre que la gauche, après sa probable défaite, ne s’en remette au confort d’une opposition radicale, en pariant sur l’échec du
camp d’en face, plutôt que de se pencher sur les incertitudes de sa doctrine.
Quant à François Fillon, s’il l’emporte, il aura à
gérer une alliance des contraires. Imposer le libéralisme est par nature une tâche difficile, puisqu’il est foncièrement hostile au volontarisme. Prendre le risque d’affaiblir l’Etat quand on
compte sur son autorité n’est pas chose simple. Il lui faudra beaucoup de talent et de chance pour parvenir à envelopper ces tensions dans l’intérêt supérieur du pays. Pour lui, les difficultés
commencent. Ce qui est relativement rassurant, c’est qu’il en a l’air conscient.
Marcel Gauchet
est philosophe et historien, responsable de la rédaction du Débat dans lequel il publie « Droite et gauche en redéfinition », n° 192, novembre-décembre 2016, Marcel Gauchet analyse les ressorts
du vote « stratégique » de l’électorat de droite pour François Fillon et les ressorts du renouveau du conservatisme. Auteur de Comprendre le malheur français (Stock,
LA CROIX
François-Michel
Lambert: «Sortir d’une société de dépendance et de gaspillage»
Recueilli par Séverin Husson
16-02-2015
Le député François-Michel Lambert préside
l’Institut de l’économie circulaire. Il estime que la construction d’une économie construite autour de l’impératif de préservation et d’optimisation des ressources est un
incontournable.
La Croix: Qu’est-ce que l’économie circulaire?
François-Michel Lambert: Tel qu’il tourne
actuellement, notre système de production ne fonctionne pas car, sur terre, les ressources en eau, en énergie, en matières premières sont limitées. Nous sommes donc appelés à repenser ce modèle,
en sortant d’une société de dépendance et de gaspillage pour entrer dans une économie construite autour de l’impératif de préservation et d’optimisation des ressources.
Ce n’est donc pas simplement du
recyclage?
F.-M. L.: Non, le recyclage, c’est l’un des
maillons de l’économie circulaire, disons le minimum à réaliser. En triant et en recyclant, on limite les dégâts mais on ne change pas le système qui, lui, continue à polluer. Il est donc
préférable d’embrasser une approche plus globale consistant à limiter la masse de déchets produits. Par exemple en allongeant la durée de vie des objets, en les réparant, en les réutilisant ou en
réemployant certains de leurs composants. On peut aller encore plus loin en intensifiant leur utilisation : au lieu d’acheter une voiture pour la faire rouler quelques heures par jour, mieux vaut
payer pour utiliser un véhicule quand on en a besoin, puis le partager avec d’autres. C’est le principe de l’autopartage, dans lequel chaque voiture remplace quatre à six véhicules
individuels.
Pourquoi y a-t-il urgence à s’engager dans cette
voie?
F.-M. L.: Parce que nous sommes dans un
monde fini. Dans les années à venir, certaines matières premières comme le zinc, le cuivre ou le phosphate vont s’épuiser. Or, aucune autre planète ne va venir se garer à côté pour nous servir de
stock. C’est donc un incontournable.
N’est-ce pas, avant tout, une affaire de
morale?
F.-M. L.: Il ne faut juger personne, ne
pas décider ce qui est bien ou mal. À la notion de morale, je préfère celle de responsabilité, de sentiment d’appartenance à une même communauté humaine. Chacun doit prendre conscience que nous
faisons partie d’un ensemble plus vaste et que chaque geste compte. Cette économie est aussi là pour nous inciter à recréer des liens. Notre modèle social a lui-même été mis à mal par la société
du jetable : ces habitudes sont passées aux hommes, que l’on jette aussi.
Y a-t-il un modèle économique viable, sans aides
publiques?
F.-M. L.: Oui dans certains secteurs,
et non dans d’autres. Recycler est rentable pour tous les matériaux qui ont besoin de beaucoup d’énergie pour être produits : le verre et l’aluminium, par exemple. Ça l’est aussi quand il y a des
ruptures de modèle économique. Le cas d’Autolib’ est connu. Mais Michelin, par exemple, s’est aussi engagé dans cette démarche. Avant, ils produisaient et vendaient des pneus pour poids lourds.
Maintenant, ils les « louent » aux transporteurs routiers, au kilomètre parcouru. Ça change tout car ainsi Michelin reste propriétaire des pneus et peut les récupérer à la fin de leur
durée d’utilisation pour les régénérer. C’est très intéressant à l’heure où une pénurie de l’hévéa menace. En plus, pour rendre l’opération intéressante, Michelin a fait en sorte d’augmenter leur
durée d’utilisation : elle est passée de 300 000 kilomètres parcourus à un million.
Que faut-il faire pour aller plus
vite?
F.-M. L.: Il existe trois grandes barrières
à l’entrée. La fiscalité, qui ne favorise pas plus la préservation des ressources que le gaspillage. Ainsi, vous payez la même TVA sur des pièces de seconde main que sur des neuves, alors que la
TVA a déjà été payée une fois lors du premier achat, qu’il y a un coût supplémentaire pour rénover les pièces et certifier qu’elles sont en bon état… Deuxièmement, il faut assouplir la
réglementation, le statut du déchet, qui est extrêmement contraignant, notamment en ce qui concerne la traçabilité. Enfin, il y a une question de comportement, de rapport à la propriété. Partager
une voiture ou choisir un téléphone mobile d’occasion n’est pas entré dans les mœurs. Il nous faut donc prendre l’habitude non seulement de ne plus jeter, mais aussi de ne plus toujours posséder.
L’économie circulaire impose de passer d’une économie de la possession à une société de l’usage.
Pourquoi n’est-ce pas un simple effet de
mode?
F.-M. L.: Le gouvernement a décidé d’inclure
l’économie circulaire dans sa loi de transition énergétique ; la Ville de Paris vient d’annoncer qu’elle voulait devenir une référence mondiale en la matière ; un nombre croissant de pays
s’engage dans cette voie : la Chine, le Japon, la Corée, l’Allemagne, la Suisse, le Royaume-Uni, les Pays-Bas… C’est bien la preuve qu’il ne s’agit pas d’un effet de mode.
Quelle est la place des entreprises
sociales?
F.-M. L.: Elles ont compris très tôt que les
déchets étaient une formidable ressource délaissée par les autres. Qu’ils constituaient un moyen de créer de l’activité, des emplois pour ceux qui en sont éloignés, à condition de se montrer
patient et ne pas attendre de taux de rentabilité à deux chiffres. Mais elles ne sont plus seules: d’autres types d’acteurs commencent à s’y intéresser, à tel point qu’on ne parle plus de déchets
mais de « mines urbaines ».
L’arrivée de ces nouvelles entreprises
risque-t-elle de fragiliser les acteurs historiques?
F.-M. L.: Dans une mine, on ne peut pas
être trop nombreux à creuser. Il faut donc veiller à ce que ceux qui disposent des moyens financiers les plus importants ne détournent pas l’ensemble à leur profit. Maintenir une pluralité
d’acteurs est essentiel.
Parmi les membres de l’Institut de l’économie
circulaire que vous présidez, on trouve aussi bien Veolia que Le Relais, EDF que le Réseau des ressourceries. Le dialogue entre ces structures est-il facile?
F.-M. L.: Le dialogue existe mais les
approches sont différentes. Les entreprises sociales sont dans des démarches de petits pas, tandis que d’autres misent sur des retours sur investissements rapides et ont besoin de capter de
grands flux. Le pouvoir politique doit aider chacun à prendre sa place, avec des leviers fiscaux, peut-être des quotas. Sinon, comme dans le monde minier, seuls quelques groupes subsisteront et
la dynamique collective d’amélioration continue sera brisée.
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LES ENTREPRISES SOCIALES, AU SERVICE DE L’INTERET GENERAL
Définition: Les entreprises sociales se définissent d’abord par leur activité, économiquement pérenne, qui doit servir l’intérêt général. Selon le Mouvement des
entrepreneurs sociaux, ce modèle d’entreprise repose sur quatre piliers : un projet économique viable, une finalité sociale et/ou environnementale, une lucrativité limitée, une gouvernance
participative.
Des secteurs d’activité variés:
L’activité des entreprises sociales répond à des besoins sociaux mal couverts par l’État et le secteur privé. Elles interviennent dans les secteurs de la réinsertion de personnes éloignées de
l’emploi (Mozaïk RH, le réseau Cocagne), dans l’accès aux soins (Groupe SOS, La Sauvegarde du Nord), la dépendance (Siel bleu), le logement (Solidarités nouvelles pour le logement), le commerce
équitable (Éthiquable)… Beaucoup d’entre elles sont également présentes dans la construction d’une économie circulaire, à travers les questions de recyclage, de réemploi, d’accès aux biens et
services à un coût attractif (Enercoop, Vitamine T, Juratri…).
Un compartiment de l’économie sociale et solidaire:
La loi Hamon sur l’économie sociale et solidaire (ESS) du 31 juillet 2014 reconnaît les entreprises sociales comme partie intégrante de l’économie sociale et solidaire. Mais cette famille
est beaucoup plus large puisqu’elle intègre, outre les entreprises sociales, des structures qui se définissent par leur statut : les coopératives, associations, mutuelles et fondations.
Et ce quel que soit leur domaine d’activité. Le défi du changement d’échelle:
Il n’existe pas de chiffre précis sur le nombre d’entreprises sociales, ni sur les emplois qu’elles comptent. Si quelques-unes occupent plusieurs milliers de salariés, la plupart rencontrent des
difficultés à se développer, notamment parce qu’elles manquent de capitaux. La loi Hamon ambitionne de leur faciliter l’accès à de nouveaux financements.
Recueilli par Séverin Husson
François Michel Lambert est membre du Conseil des membres du PRé
Le sociologue allemand Ulrich Beck est mort
Le Monde.fr |
Le sociologue allemand Ulrich Beck, à qui l'on doit notamment le concept de la « société du risque », est décédé le 1er janvier d'un infarctus, à l'âge de 70 ans. Né le 15 mai 1944 à
Stolp, aujourd'hui Słupsk en Pologne, Ulrich Beck a grandi à Hanovre, mais a fait ses études supérieures à Munich, où il a étudié la sociologie, la psychologie et les sciences politiques.
L'année même de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en 1986, il publie son ouvrage majeur : La Société du risque (Aubier, 2001), qui connaîtra un succès mondial, mais ne sera
traduit en français que quinze ans plus tard.
Pour lui, « la production sociale des richesses » est désormais inséparable de « la production sociale de risques ». L'ancienne politique de distribution des
« biens » de la société industrielle doit donc être relayée par une politique de distribution des « maux » engendrés par cette société.
Comme le note le sociologue belge Frédéric Vandenberghe dans une Introduction à la sociologie cosmopolitique du risque d'Ulrich Beck,« confrontée aux conséquences de la
politique d'industrialisation, la société industrielle devient “réflexive”, ce qui veut dire qu'elle devient un thème et un problème pour elle-même ». Une théorie qui a eu un impact
important sur le mouvement écologiste allemand, qui a pris son essor dans les années 1980 et a été notamment influencé par la « seconde modernité » décrite par Ulrich
Beck.
Lorsqu'Angela Merkel a annoncé en mars 2011, après la catastrophe de Fukushima, vouloir renoncer au nucléaire civil à l'horizon 2022, Ulrich Beck avait accepté de faire partie de la commission
éthique chargée de réfléchir à la faisabilité d'un tel projet pour l'Allemagne.
« NON À L'EUROPE ALLEMANDE »
Ses réflexions sur le risque ont amené Ulrich Beck à remettre très tôt en question les Etats-nations, une notion qu'il qualifiait de « catégorie-zombie ». Il était en faveur d'un
Parlement mondial, tout en soulignant les risques que cette mondialisation entraînait pour l'individu, de moins en moins protégé par des structures collectives et de plus en plus dépendant d'une
réussite individuelle reposant notamment sur l'éducation et le savoir.
Pour Ulrich Beck, la construction européenne était une étape importante vers la voie de la mondialisation maîtrisée qu'il appelait de ses vœux. En 2010, avec notamment les députés européens
Daniel Cohn-Bendit et Sylvie Goulard et l'ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt, il faisait partie du groupe Spinelli, qui plaidait pour une Europe fédérale.
Avec le philosophe Jürgen Habermas, dont il était proche, Ulrich Beck était l'un des intellectuels allemands les plus engagés ces dernières années dans le combat européen. Les titres de deux de
ses derniers ouvrages, Pour un empire européen et Non à l'Europe allemande, en témoignent.
Ulrich Beck aimait mettre en avant les cours qu'il avait donnés à la London School of Economics et à la Maison des sciences de l'homme à Paris. Ne détestant pas la polémique, Ulrich Beck s'en
était violemment pris ces dernières années à Angela Merkel, fustigeant l'attentisme de la chancelière. Il avait créé le néologisme Merkiavel, qui allait faire florès dans toute l'Europe.
N.B PRé /www.college-etudesmondiales.org : Ulrich Beck reste une des grands ressources intellectuelles du PRé.
Il était professeur de sociologie à l'Université de Munich et « British Journal of Sociology Centennial Professor » à la London School of Economics depuis 1997.
Plusieurs universités européennes lui ont décerné des doctorats d’honneur et son œuvre, traduite dans plus de trente langues, a reçu de nombreux prix. Il publie régulièrement des essais dans les
principaux journaux européens et dirige les revues « Soziale Welt » et « Edition Zweite Moderne ». Il a fondé le centre de recherche « Reflexive Modernisation » à l’université de
Munich.
Auteur d'ouvrages majeurs, Ulrich Beck s'attache à comprendre les mutations de nos sociétés à l'heure de la mondialisation, en développant une sociologie du
risque et la notion de cosmopolitisme.
Dans son livre pionnier La Société du risque (1986), le risque et sa répartition dans nos sociétés contemporaines devient un enjeu majeur qui dépasse même en
importance la question de la répartition des richesses. Le risque ne se résume plus au danger ou à la menace, il sert à mesurer l’action, et notamment l’action politique. Ce véritable changement
social est en lien avec le développement industriel et technologique. Prenant l'exemple de l'industrie nucléaire, il critique « les acteurs qui sont censés garantir la sécurité et la
rationalité - l'État, la science et l'industrie - » dans la mesure où « ils exhortent la population à monter à bord d'un avion pour lequel aucune piste d'atterrissage n'a été construite à ce jour
». Selon lui, les choix doivent s’effectuer entre des « solutions également dangereuses », mais « dont les risques sont qualitativement trop différents pour être aisément comparés. » Or,
précisément, les « gouvernements adoptent (...) une stratégie de simplification délibérée » en présentant « chaque décision particulière comme un choix entre une solution sûre et une solution
risquée tout en minimisant les incertitudes de l'énergie nucléaire. » Selon Ulrich Beck, les dangers n’ont pas augmenté mais il y a une baisse de la tolérance au risque qui augmente la demande
d'assurance.
Par la suite, Ulrich Beck combine ce premier modèle avec la notion de cosmopolitisme qui est pour lui une manière de promouvoir une forme de mondialisation
basée sur la reconnaissance et la coexistence des différences plutôt que l’unification. Il l’applique d’abord à la construction politique européenne dans son livre Pour un empire européen
(Flammarion, 2007), co-écrit avec son condisciple Edgar Grande.
Puis, dans son dernier livre, World at Risk (Polity Press, 2008), Ulrich Beck propose une analyse des trois grands risques contemporains : les changements
climatiques, le terrorisme et les crises financières. Dans ce contexte d’inégalité globale et de vulnérabilité locale, le cosmopolitisme n’est plus seulement une notion politique. Il devient une
méthode de travail et d’analyse qui doit permettre de dépasser un nationalisme méthodologique inadapté à ces risques globaux.